Le fait du jour :
Telle que le ministre des Affaires sociales, François Fillon, l'a exposée lors de l'émission « Cent minutes pour convaincre », la réforme des retraites sera profonde et exigera des sacrifices de tous, actifs et inactifs.
Tout d'abord, le ministre considère comme acquis l'alignement des fonctionnaires sur les 40 ans de cotisations des salariés du privé ; ensuite, il brise le tabou des 40 ans en prévoyant, à l'horizon 2020, 41, 42 ans ou plus. Enfin, il prévoit des décotes pour années non travaillées et une retraite du smicard à 75 % seulement du salaire.
Un front social uni
Le gouvernement ne peut avoir pris de telles décisions sans en prévoir les conséquences sociales. On avait pensé que la CFDT coopérerait avec lui, il n'en sera rien. C'est un front social uni qui va multiplier les grèves dans les semaines à venir ; Jean-Pierre Raffarin a donc pris le risque de déclencher un conflit grave qui pourrait avoir la même ampleur et la même durée que celui de 1995.
Le plan Fillon bouscule beaucoup de traditions nationales et il est d'inspiration fortement libérale. Alain Madelin lui-même ne saurait le désavouer. L'effort exigé des Français est à la mesure des dangers qui menacent le régime des retraites ; on veut donc espérer qu'il en assurera durablement l'équilibre financier. M. Fillon, pour n'épouvanter personne, a bien précisé que le projet ne commencerait à être appliqué que dans cinq ans et qu'il serait corrigé en fonction de la conjoncture : une forte croissance de plusieurs années peut effectivement permettre aux pouvoirs publics de différer, ou même abandonner, la prolongation des carrières.
Les syndicats se sont élevés contre le projet en ajoutant qu'ils avaient des propositions susceptibles de maintenir l'équilibre financier sans allonger la durée des cotisations. Mais, s'ils sont unanimes à récuser le projet Fillon, ils ne le sont pas à propos des alternatives qu'ils suggèrent : cela va des cotisations de 37,5 ans pour tous (recette pour un désastre) à l'augmentation des cotisations.
C'est sur ce dernier point que, pour le moment, le gouvernement est d'une intransigeance absolue : l'augmentation des prélèvements obligatoires, que ce soit pour renflouer les retraites ou assainir les comptes de l'assurance-maladie, est exclue. En dépit d'une crise économique dure et prolongée, ou peut-être à cause d'elle, M. Raffarin ne veut pas se priver des moyens classiques de relance qui, tous, passent par une diminution des charges sociales, à la fois pour les entreprises qui doivent investir et pour les salariés qui doivent consommer.
C'est ce credo qui dicte l'action du gouvernement. On en a vu un échantillon avec les baisses de remboursement ou les déremboursements de plus de 1 300 médicaments. Il n'est plus question d'augmenter la part toujours croissante des prestations sociales dans les budgets publics, il s'agit au contraire de laisser au consommateur le choix entre les produits qu'il veut payer. En d'autres termes, s'il veut une retraite plus confortable, il doit épargner ; s'il veut un médicament non remboursé, il doit le payer de sa poche. Ce faisant, M. Raffarin qui, jusqu'à présent, n'est jamais apparu comme un chef de file du libéralisme économique, se conduit comme tel et rejoint les plus libéraux des élus français.
La réhabilitation du travail
Mais les mesures annoncées vont plus loin ; elles sont économiques et sociales, elles sont même politiques, mais elles sont aussi philosophiques. Leur message est le symétrique absolu du message jospinien : M. Raffarin veut réhabiliter le travail, déconsidéré par la semaine des 35 heures, et rendre la liberté de choix au consommateur. A la place d'une société qui attend tout de l'Etat, il propose une France qui prend son destin en main, aura peut-être moins de loisirs, s'identifiera à ses métiers. C'est une révolution qui ne dit pas son nom et dont on peut se demander si elle est capable d'imprégner rapidement la mentalité de nos concitoyens.
Les syndicats et l'opposition, qui se rangent dans une philosophie diamétralement opposée, sont fondés à se rebeller contre des dispositions draconiennes, susceptibles de changer le cap du navire France. Elles ne manquent pas d'arguments concernant une politique qu'elles considèrent comme antisociale. Mais, d'une part, la gauche n'a jamais dit comment il fallait rétablir les équilibres fondamentaux, alors que de nombreuses expériences conduites à l'étranger montrent qu'on n'y parvient qu'en réduisant le rôle de l'Etat providence ; et d'autre part, la détermination du gouvernement traduit un certain courage dans la mesure où il prend des risques politiques considérables. Or la France a besoin des réformes que mettent en uvre M. Raffarin et son équipe ; elle a besoin de retrouver sa compétitivité ; elle doit aussi résorber un chômage dont la persistance traduit, de toute évidence, ses scléroses industrielles, son manque d'initiatives, et un traditionalisme qui résiste désespérément aux grands changements dans les relations commerciales internationales.
Jean-Pierre Raffarin est en train de donner une réponse vigoureuse à tous ceux qui, du Medef à la droite politique, le pressaient d'accélérer le rythme des réformes. Lesquelles ne doivent sûrement pas se traduire par la paupérisation des ménages. Le débat doit se dérouler autour des risques de la réforme. Il ne doit pas en revanche porter sur sa nécessité.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature