DÉCIDÉMENT, ce gouvernement en reçoit de vertes et de pas mûres. Et maintenant, il ne s'agit plus seulement de combattre son programme économique et social, mais de faire peser un soupçon de plus en plus lourd sur son quotient d'intelligence collectif.
M. Raffarin rend les coups : il a fait remarquer à la gauche qu'elle n'a pas le monopole de l'intelligence. Mais à peine avait-il fait connaître son sentiment que l'actrice et scénariste Agnès Jaoui se lançait, lors de la Nuit des césars, au théâtre du Châtelet, à une attaque en règle contre le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon. Il était présent mais ne lui a pas répondu à la tribune. Jacques Chirac, qui aurait souhaité que M. Aillagon ripostât sur le champ, en aurait conçu une grande colère. Le ministre a publié la semaine dernière dans « le Monde » une tribune libre destinée à faire contrepoids aux déclarations de l'artiste. Mais à ce jeu-là, on ne gagne jamais : conseillère municipale socialiste, Anne Hidalgo a allumé un contre-feu dans le même journal.
Le procès du statut des intermittents.
La salle des césars qui a vivement applaudi Mme Jaoui lui était apparemment acquise : il y aurait donc, dans le gratin parisien, un ample mouvement contre la politique de recherche et culturelle du gouvernement, lequel serait composé de gens bêtes et ignares.
L'accusation nous semble quelque peu sommaire et davantage étayée par la passion et par la calme rhétorique de Mme Jaoui que par des arguments recevables. Empressons-nous de souligner que l'artiste ne reproche pas au ministre de la Culture de manquer de culture : au nom de tous les artistes, elle fait le procès de la réforme du statut des intermittents du spectacle.
C'EST AVEC BEAUCOUP D'ARGENT QUE JACK LANG A FAIT SA POLITIQUE DE LA CULTURE
Sur cette réforme, le gouvernement a tenu bon. Il a volé au secours de quelques festivals célèbres en renflouant leurs finances (c'est assez dire que la réforme commence par coûter cher), il a promis de contrôler de façon plus vigilante les employeurs des intermittents. Mais il a refusé d'abandonner la réforme.
L'ombre de Jack Lang.
M. Aillagon n'est pas un tribun, sinon il aurait pris le micro d'autorité pour répondre à Mme Jaoui, par ailleurs artiste de talent qui a fait ses preuves. Il détient en outre des fonctions dans lesquelles personne n'a su briller autant que Jack Lang. Il est possible que le statut des intermittents mette en danger la création artistique en France, mais il est vrai aussi que toute création n'est pas toujours d'une si grande qualité que le spectacle attire suffisamment de monde pour s'autofinancer. C'est trop facile de se décréter artiste (ou de vouloir travailler comme technicien mais seulement dans le spectacle, avec les aléas liés au spectacle) et d'annoncer que la production de beauté doit nécessairement être financée par la collectivité. Le succès ou l'échec d'un spectacle ou de toute œuvre sont sanctionnés par le public, même si la valeur de l'œuvre lui échappe.
Question sur un métier.
La question porte, en conséquence, sur la difficulté de désigner comme artistes ceux qui plaisent et attirent le public et ceux qui plaisent moins et ont besoin de subventions. M. Aillagon n'a pas fait disparaître les subventions, pas plus qu'il n'a demandé au mécénat de prendre le relais de l'Etat. Au fond, sa réforme pose une question à chaque intermittent : doit-il ou non poursuivre la carrière qu'il a choisie ? Peut-être la France a-t-elle besoin de spectacles plus rares, mais de plus grande qualité, et ne doit-elle pas considérer comme des œuvres éternelles des spectacles médiocres.
En outre, Jack Lang ne laisse aux artistes une si grande nostalgie que parce qu'il disposait d'un budget colossal au regard de ce que l'Etat payait pour la culture avant l'ère Mitterrand. Le souci du gouvernement actuel est de revenir à un coût de la culture qui soit plus conforme à nos moyens en temps de crise économique.
A ce sujet, on lira avec intérêt un livre intitulé « Dr Jack et Mister Lang » (1) qui montre que l'ancien ministre de la Culture, que nous fûmes nombreux à vénérer tant il semblait favoriser la création, a utilisé sans compter les deniers de l'Etat, n'a pas eu lui-même l'idée de la Fête de la musique et a toujours traité l'argent par le mépris alors même qu'il vivait sur un train de ministre. L'ouvrage ne fait pas de révélations, sinon que M. Lang est infiniment plus Lang que ce qu'on croit et que son ego et son sens de la carrière l'ont conduit sans cesse à faire des accommodements avec l'idéologie : il n'a jamais cru qu'à lui-même.
Il a été un bon ministre de la Culture. Mais aucun gouvernement ne peut indéfiniment se payer une telle danseuse, c'est-à-dire un budget de la culture hypertrophié et qui ne fait pas forcément du culturel. Exemple : à la Fête de la musique, on entend le meilleur et le pire. En d'autres termes, les artistes aussi sont des citoyens comme les autres et ils ne sauraient bénéficier de privilèges de longue durée quand la conjoncture ne le permet plus.
(1) « Dr Jack et Mister Lang » , de Nicolas Charbonneau et Laurent Guimier, Ed. du Cherche-Midi, 15 euros.
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