QUAND, EN JUIN 2007, le médecin installé depuis toujours à Seboncourt, dans l'Aisne, décide de prendre sa retraite, le maire de la commune, Gérard Feuillette, ne baisse pas les bras pour autant. Il n'est pas question pour lui de laisser son gros bourg de 1 150 habitants sans médecin généraliste, et il se met en chasse pour lui trouver un successeur.
C'est grâce à une annonce passée dans « le Quotidien » à la fin du mois de septembre 2007 qu'il pense avoir trouvé le bon candidat. Un médecin roumain répond en effet à son annonce : le Dr Lucien Popoviciu parle très bien français, présente toutes les garanties possibles, et est disponible pour quitter son pays et venir exercer à Seboncourt dans des délais raisonnables. Le maire de Seboncourt, le conseil général et la population du bourg ne ménagent pas leur peine pour accueillir comme il se doit le nouveau médecin. «Nous lui avons obtenu tous les papiers nécessaires, se souvient Gérard Feuillette, et nous avons réglé toutes les questions relatives à son inscription au conseil départemental del'Ordre des médecins ainsi qu'àla caisse primaire d'assurance-maladie. Nous lui avons aussi proposé gracieusement pour six mois un logement meublé et un cabinet médical équipé.»
En février 2008, le Dr Lucien Popoviciu arrive à Seboncourt. Il est célibataire, âgé de 38 ans, et s'installe dans ses nouveaux murs avec son père, venu lui aussi de Roumanie. «Au début, c'était impeccable», précise le maire.
Mais, très vite, les choses se dégradent. Le praticien roumain, manifestement peu au fait des us et coutumes de la médecine libérale, travaille très peu : en moyenne 19 heures par semaine, selon Gérard Feuillette, qui précise qu'en outre le généraliste consacrait «au minimum» une heure à chaque consultation, conduisant les autres patients, fatigués d'attendre, à aller se faire soigner ailleurs.
Fin juin 2008, tout s'accélère. Le Dr Lucien Popoviciu informe un beau matin le maire qu'il quitte Seboncourt à la fin de la semaine. Selon l'édile, le Dr Lucien Popoviciu aurait argué du fait qu'il gagnait à peine 2 000 euros par mois et qu'il ne pouvait continuer à exercer à Seboncourt avec d'aussi maigres revenus. «Il est parti deux jours plus tard, ajoute le maire, manifestement excédé par l'aventure, et prétendait emporter avec lui les meubles de l'appartement ainsi que le matériel médical du cabinet. Rien de tout cela ne lui appartenait, si bien que nous l'en avons empêché.» Gérard Feuillette, qui n'a pas encore digéré l'affaire, n'hésite pas à livrer ce qu'il a sur le coeur : «Pour moi, il a profité de nous pour obtenir le droit d'exercer. Maintenant il va aller s'installer ou bon lui semble.» Il n'en reste pas moins que, si les habitants de Seboncourt ont été choqués par le départ précipité du Dr Lucien Popoviciu, ils n'en reconnaissent pas moins qu'il était un bon médecin, attentif, aux diagnostics généralement étayés. Plusieurs Seboncourtois assurent d'ailleurs que, s'il s'était montré plus patient, le médecin roumain aurait pu facilement se constituer une confortable patientèle.
L'histoire aurait pu en rester là, mais, quelques temps après, Gérard Feuillette reçoit un appel de Jean-Marie Plessiet, maire de Bertincourt, une commune située dans le Pas-de-Calais voisin. Jean-Marie Plessiet l'informe que le Dr Lucien Popoviciu a pris contact avec lui pour s'installer dans sa commune et lui demande son avis à ce propos. Échaudé par le témoignage que lui livre Gérard Feuillette, le conseil municipal de Bertincourt décide de ne pas pousser plus loin les négociations avec le praticien. Trop tard ! Dans l'intervalle, celui-ci est arrivé à Bertincourt avec armes et bagages et, sans prévenir qui que ce soit, a déposé tous ses meubles dans un local attenant à l'appartement que Jean-Marie Plessiet lui avait présenté lors d'une précédente visite comme son possible futur logement. Jean-Marie Plessiet ne souhaite pas s'exprimer plus longuement sur ce dossier, et conclut sobrement : «Le conseil municipal s'était prononcé contre son installation, nous l'avons fait partir.»
« Le Quotidien » a tenté par divers moyens de rentrer en contact avec le Dr Lucien Popoviciu. Mais tous les moyens de communication utilisés, tant le téléphone qu'Internet, n'ont pas permis de le joindre.
Rien d'illégal.
Le président du conseil départemental de l'Ordre de l'Aisne, le Dr Jean-François Lampaert, sans confirmer l'épisode de la venue du praticien roumain à Bertincourt, dans le Pas-de-Calais, indique au « Quotidien » que le Dr Lucien Popoviciu, après avoir demandé le transfert de son dossier vers le département du Pas-de-Calais, a effectivement récemment demandé à être réinscrit dans l'Aisne. Cette réinscription n'est pas automatique et doit toujours être précédée d'une réunion confraternelle entre un responsable du CDOM et le médecin concerné.
La prochaine réunion du conseil départemental pour statuer sur ce genre de cas ayant lieu le 12 septembre prochain, la demande de réunion confraternelle a déjà été adressée au Dr Lucien Popoviciu, précise le Dr Lampaert, qui ajoute que «s'il ne se présente pas à cette réunion, il ne sera pas réinscrit».
Enfin, au Conseil national de l'Ordre, le Dr Xavier Deau précise que, depuis que la Roumanie a rejoint l'Union européenne, ses ressortissants peuvent aller travailler où bon leur semble en Europe, «au même titre qu'un Belge ou qu'un Allemand». À condition toutefois d'être titulaire d'un diplôme conforme à la directive européenne 2005-36, et que leur pays d'origine ait délivré un certificat adéquat.
En tout état de cause, le Dr Lucien Popoviciu n'a rien commis d'illégal aux termes de la loi. Tout au plus aura-t-il fait preuve d'indélicatesse ou de légèreté en quittant Seboncourt aussi précipitamment. Mais son attitude ne contribuera pas à donner aux élus locaux l'envie d'aller chercher hors de nos frontières le praticien qui leur fait défaut. Enfin, comme le fait remarquer un médecin français anonyme, «personne ne veut aller à la campagne, pas même les médecins étrangers. L'échec de l'immigration des médecins étrangers sera un argument de plus pour les mesures désincitatives qui nous attendent au tournant».
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