Il est 19 heures à Grigny (Essonne), le 18 avril, quand le Dr Raymond Prince, 42 ans, sort de chez son premier patient du jour. Le temps de prendre note, par autoradio, d'une prochaine visite à effectuer, et sa voiture (à l'arrêt), portant le logo « SOS-Médecins 91 », est soumise à un brusque roulis.
Trois individus munis de barres de fer, sortis d'un bosquet, l'un encagoulé, secouent la 206 du praticien. Deux se ruent sur la banquette arrière et le troisième à l'avant. Ce dernier extirpe le généraliste du véhicule et cherche à le clouer au sol. Le Dr Raymond Prince, qui n'a pas la carrure d'un costaud, réussit, sous les coups, à se lever pour une vaine fuite. Les deux complices s'empressent de le jeter à nouveau à terre, avant de s'engouffrer dans la Peugeot. Ils feront un kilomètre au plus, ayant rendu l'automobile inutilisable suite à un accident, sans gravité pour eux.
La famille que venait de visiter le médecin, placée aux premières loges de ce trop banal fait divers (leur appartement du rez-de-chaussée donne sur la voie publique), n'a « rien vu, rien entendu », parole de témoin qui se rappelle qu'en terre de non-droit les représailles sont monnaie courante. Pour sa part, une automobiliste, qui passait par là, s'est entendu dire par la maréchaussée, qu'elle avait alertée : « Nous ne pouvons nous déplacer, faute d'effectifs suffisants, puisqu'il n'y pas de mort. »
Sous le choc
Mme Prince, mère de 6 enfants, qui rapporte, « sans passion », au « Quotidien » « ces faits sordides », n'en revient pas. Son mari est rentré à 4 heures du matin au domicile familial, après s'être rendu au poste de police et à l'hôpital. Le visage couvert d'hématomes, les vêtements déchirés, et « sous le choc psychologique ». « Il ne se voit pas redémarrer comme ça », précise son épouse. Et pourtant, ses confrères des urgences hospitalières l'ont dispensé d'arrêt de travail. Au commissariat, il n'a servi à rien qu'il affirme pouvoir reconnaître l'un des malfrats de 18 ans, voire moins, car l'agresseur ne figurait pas au fichier de la police ; et surtout, dans ce genre d'affaire sans mort ni blessé grave, le classement sans suite est la règle. En somme, « circulez, il n'y a plus rien à déclarer ».
Mme Prince a voulu en savoir plus, mais on lui a signifié qu'il était plus sage de « s'en tenir là, les représailles (des agresseurs dès qu'on décline son identité), ça existe ». D'ailleurs, « c'est très peu de chose, vous savez, au regard de ce qu'endurent les gens du quartier ».
Les Prince, pourtant, en savent quelque chose de la « vie hors norme ». Ils n'oublieront jamais les six années durant lesquelles ils ont habité dans une zone d'éducation prioritaire. Depuis cette « période noire », ils vivent dans un petit village isolé de Seine-et-Marne.
Quant au risque d'être agressé en tous lieux et à toutes heures, il convient de souligner, avec Mme Prince, qu'il n'y rien de commun entre un quidam qui vient d'acheter sa baguette de pain et tombe à terre sous la matraque d'un voyou et un médecin roué de coups alors qu'il assure une mission de service public, sans protection de la police, dans une zone de non-droit. Pour SOS-Médecins 91, c'en est trop, ils n'enverront plus de praticiens, jusqu'à nouvel ordre, à Grigny.
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