UN MATIN d’octobre 2002, le Dr X, généraliste à Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor, est appelé au téléphone par une de ses patientes. Elle souffre de douleurs au ventre, mais comme le Dr X est déjà en consultation à son cabinet, il propose à la jeune femme un rendez-vous en début d’après-midi. Les douleurs de la jeune femme ne se calment pas, bien au contraire, si bien que, peu après, elle appelle le centre 15 qui lui demande si elle est enceinte. La réponse de la jeune femme est négative et le régulateur du centre 15 l’invite donc à reprendre contact avec son médecin attitré. Elle le rappelle, et le Dr X, après lui avoir également demandé si elle était enceinte, lui conseille d’aller aux urgences. Les douleurs deviennent à ce point pénibles que la jeune femme s’y rend. Les médecins urgentistes, après échographie, diagnostiquent une grossesse extra-utérine qui nécessitera l’ablation d’une trompe. La patiente porte plainte contre le Dr X.
Le 13 septembre dernier, il était jugé par le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc. Pour sa défense, il a fait valoir qu’étant déjà en consultation, il ne pouvait se déplacer pour aller en visite chez sa jeune patiente, et que son déplacement n’aurait fait que retarder l’intervention du Samu. Le procureur de Saint-Brieuc lui a objecté qu’il aurait mieux fait de contacter lui-même le Samu, puisqu’il «avait conscience d’une certaine urgence». Sans relever que la jeune patiente avait par la suite appelé elle-même le Samu, qui lui avait par téléphone conseillé de reprendre contact avec son médecin. Dans ses réquisitions, le parquet avait demandé sept mois de prison avec sursis pour le Dr X, qui a fini par être condamné à 1 000 euros d’amende avec sursis pour non-assistance à personne en danger, et à 500 euros de dommages et intérêts pour sa patiente. Usé par quatre ans de procédure, il n’a pas souhaité faire appel.
Hospitaliser au moindre doute.
Pour le Dr Marc Giroud, président du Samu de France, «si les faits que vous me rapportez sont exacts, mon penchant va vers la compréhension. Si on condamne tous les gens dont le résultat de la prise en charge se révèle inadapté, on va condamner le système plus que le médecin lui-même, et il faudra hospitaliser tout le monde au moindre doute».Marc Giroud estime en substance qu’il serait dangereux pour la société que la justice ne comprenne pas que la médecine de proximité et la médecine d’urgence «ne peuvent pas être infaillibles: il faut juger la méthode mise en oeuvre par le médecin et non l’erreur apparente. Dès lors qu’on est dans une méthode acceptable, il ne devrait pas y avoir de condamnation». Sans quoi, estime le Dr Giroud, «il n’y aura plus de médecine libérale, plus d’urgentistes et plus de régulation». Mais le Dr Giroud regrette, même s’il la comprend, la décision du Dr X de ne pas faire appel : «Ses collègues et amis devraient l’aider dans cette démarche. En appel, il aurait plus de chances de se faire entendre. »
Du côté de l’Ordre des médecins, responsabilité oblige, le ton est nettement plus mesuré. Pour le Dr Patrick Bouet, pas question de commenter une décision de justice, de sorte que son appréciation reste de portée générale : «Il y a une règle de base, qui consiste pour le médecin à évaluer, indépendamment de ses contraintes matérielles, le degré d’urgence de l’appel. En l’occurrence, le fait d’avoir plusieurs patients dans la salle d’attente, par exemple, ne saurait constituer un motif suffisant pour refuser d’aller visiter un patient qui appelle.»
Le Dr Bouet précise que l’Ordre pourrait être amené à statuer sur le cas du Dr X, «si cette condamnation nous est notifiée par le ministère de la Justice». Ce qui, apparemment, n’est pas toujours le cas. Mais il précise bien qu’avoir été condamné par la justice n’implique nullement une condamnation par l’Ordre : «Nous ne jugeons que par rapport à la déontologie et à l’éthique médicale. S’il apparaît à l’Ordre que ce médecin a respecté la déontologie, l’Ordre ne le condamnera sûrement pas, quelles qu’aient été les conclusions du tribunal correctionnel de Saint-Brieuc. En tout état de cause, nous invitons les médecins à être extrêmement vigilants dans ce type d’affaires. »
A Saint-Brieuc, la responsable FMF-G, le Dr Sabine Garnier, souhaiterait réagir à cette affaire en mettant sur pied une opération intersyndicale : «Les gens ne réalisent pas toujours que le seul fait pour un médecin de répondre par téléphone à un appel de patient constitue déjà un risque médico-légal, illustré par ce récent jugement. Nous réfléchissons donc à une action commune, et pourquoi ne pas organiser une journée sans téléphone? Nous ne réagirions qu’aux messages que nous laisseraient nos patients, pour limiter les risques, mais surtout pour sensibiliser les gens aux risques que nous courons quotidiennement. Mais nous souhaiterions que cette opération soit commune à tous les syndicats. »
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