De notre correspondante
à New York
Les événements stressants, comme la perte d'un être cher ou d'un emploi, des menaces, des humiliations ou des défaites, concourent à la survenue et à l'aggravation de la dépression. Mais tout le monde n'est pas également vulnérable, certains résistent aux drames tandis que d'autres sombrent dans la dépression.
Certains gènes pourraient-ils exacerber ou atténuer les effets dépressifs des expériences malheureuses ? Une équipe internationale, dirigée par le Pr Terrie Moffit, basé au King's College de Londres (Royaume-Uni) et à l'université du Wisconsin à Madison (Etats-Unis), a identifié un premier gène qui interagit avec l'environnement pour entraîner une dépression.
Gène du transporteur de la sérotonine
Pour plusieurs raisons, l'équipe s'est intéressée au gène du transporteur de la sérotonine (5-HTT). Le gène 5-HTT permet la recapture de la sérotonine dans les synapses cérébrales. Or, les inhibiteurs sélectifs de cette recapture sont d'excellents antidépresseurs. Une variation spécifique du gène 5-HTT (allèle court ou long dans la région du promoteur du gène), se traduisant par une expression différente du transporteur, semble influencer la réaction au stress. Si le gène 5-HTT ne semble pas directement lié à la dépression, pourrait-il tempérer la réponse sérotoninergique au stress ?
Caspi, Moffitt, et coll. ont évalué cette hypothèse d'interaction entre le gène 5-HTT et l'environnement. Ils ont étudié une cohorte représentative néo-zélandaise suivie régulièrement depuis la naissance jusqu'à l'âge de 26 ans (Dudenin Multidisciplinary Health and Development Study).
Trois groupes ont été réalisés selon le génotype 5-HTT, au sein d'un groupe de 847 participants caucasiens (17 % d'homozygotes c/c ; 51 % d'hétérozygotes c/l ; 31 % d'homozygote l/l). Les investigateurs ont évalué la présence de symptômes de dépression dans l'année précédente. Ils ont aussi enregistré les événements stressants dans les cinq années précédentes, entre l'âge de 21 et 26 ans (14 événements incluant le chômage, des problèmes financiers, l'absence de logement, une maladie et les stress relationnels). Parmi eux, 30 % n'avaient pas eu de stress, 25 % avaient eu une expérience stressante et 15 % avaient eu au moins quatre expériences stressantes. Au cours de l'année précédente, 17 % des sujets avaient eu une dépression majeure et 3 % avaient même eu des idées suicidaires.
Un ou deux allèles courts
Leur analyse montre que des événements stressants prédisent une dépression chez les sujets porteurs d'un ou deux allèles courts, mais non chez les sujets porteurs de deux allèles longs (homozygotes l/l) du gène 5-HTT.
Ainsi, parmi les sujets ayant eu au moins quatre événements stressants dans les cinq années passées, 33 % de ceux avec l'allèle court ont déclaré une dépression, tandis que seulement 17 % des homozygotes pour l'allèle long ont développé une dépression. Alors que les sujets porteurs de l'allèle court, qui ont subi récemment au moins quatre événements stressants, ne représentent que 10 % des participants, ils constituent presque un quart (23 %) des sujets déprimés.
De même, lorsque les investigateurs examinent l'enfance des sujets et découvrent un mauvais traitement avant l'âge de 10 ans, ce stress prédit une dépression à l'âge adulte seulement chez les porteurs d'un allèle court, mais non chez les homozygotes pour l'allèle long.
« Puisque le gène est présent dès la conception, il aurait été très suspect qu'il n'affecte pas les réponses au stress durant l'enfance », commente le Pr Moffitt. « Le fait qu'il interagisse avec le mauvais traitement dans l'enfance contribue à démontrer que ce résultat est solide. Cette étude épidémiologique apporte donc la preuve d'une interaction gène-environnement au cours de laquelle la réponse d'un individu est tempérée par ses gènes », concluent les auteurs, qui soulignent toutefois que ces résultats doivent maintenant être reproduits.
« Science », 18 juillet 2003, p. 386.
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