UN «ÉCRIVAIN de la rupture, de l'aventure poétique et de l'extase sensuelle, l'explorateur d'une humanité au-delà et en-dessous de la civilisation régnante»: tels sont les attendus de l'académie suédoise pour expliquer son choix de J.-M.G. Le Clézio parmi bien d'autres « nobélisables ». La Suède qui décidément n'en finit pas de le fêter puisqu'elle lui a attribué en juin dernier la distinction nationale suprême, le prix Stig Dagerman.
«J'envie ceux qui ont une terre natale, un lieu d'attache. Moi, je n'ai pas de racines, sauf des racines imaginaires. Je ne suis attaché qu'à des souvenirs.»
Si J.-M.G. Le Clézio est né tout simplement à Nice, en 1940, c'est cependant dans une famille dont les aïeux bretons ont quitté leur terre il y a trois siècles pour émigrer à l'île Maurice. Son père était un Anglais – mais né dans l'Île, d'origine bretonne –, un médecin qui soignait les lépreux et les impaludés dans la brousse, et sa mère française.
Il habite aux États-Unis mais il revient chaque été en Bretagne , où ilenvisage de s'installer, à moins qu'il ne retourne à Maurice. Grand voyageur devant l'Éternel, il a aussi pris le temps de s'arrêter et de s'imprégner des cultures et des coutumes de ses hôtes. Sa biographie est exemplaire. Morceaux choisis.
Dès sa licence de lettres, il travaille à l'université de Bristol et de Londres, consacrant un diplôme d'études supérieures à Henri Michaux. Que son coup d'essai en 1963 fût un coup de maître, ne doit pas faire oublier qu'il écrit – à la main hier comme aujourd'hui – depuis l'âge de 7 ans. Après le Renaudot, il enseigne aux États-Unis. En 1967 il fait son service militaire en Thaïlande en tant que coopérant mais est expulsé pour avoir dénoncé la prostitution enfantine.
Avec les Indiens.
De 1970 à 1974, il voyage au Mexique et au Panama où il vit plusieurs mois auprès des Indiens. «Cette expérience a changé toute ma vie, mes idées sur le monde de l'art, ma façon d'être avec les autres, de marcher, de manger, de dormir, d'aimer et jusqu'à mes rêves.»
Il enseigne ensuite à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, mais il n'a cessé de parcourir le monde, de Haïti au Maroc d'où est originaire son épouse, de l'Afrique à l'Île Maurice et au Nice de son enfance. « Ritournelle de la faim » a été écrit en Corée, alors qu'il enseignait l'année dernière la poésie et le roman français à l'université de Séoul. Ce n'est pas un hasard si on l'appelle « un indien dans la ville » ou « l'écrivain nomade ». Son oeuvre prolifique, largement traduite, est en effet perçue comme une critique de la civilisation urbaine agressive et de l'Occident matérialiste, et atteste d'une nostalgie des mondes premiers. Contes, nouvelles, romans, essais, livres de photos et autres préfaces et articles sont sous-tendus par une attention constante aux faibles et aux exclus.
Sa révolte n'est pas exubérante mais raisonnée et constante, et il l'exprime dans une écriture classique, limpide et raffinée.Parfois faussement simple, car il remet en question les fondements de la littérature traditionnelle sans se contenter du superficiel mais avec la volonté de «fouiller au plus tragique, au plus vrai, pour trouver le langage déchirant qui soulève les émotions et transforme peut-être la nuit en ombre».
Parmi les livres de J.-M.G. Le Clézio, on peut citer « la Fièvre », « l'extase matérielle », « Terra amata », « le Livre des fuites », « la Guerre », « le Chercheur d'or », « Onitsha », « Étoile errante », « le Poisson d'or », « Révolution », « Ourania », et bien sûr « Désert » ou « l'Africain ».
Le 14e Nobel national
Depuis Sully Prudhomme en 1901, Jean-Marie Le Clézio est le quatorzième Français à recevoir le prix Nobel de littérature, après Gao Xingjian – Chinois naturalisé en 1997 – en 2000 et Claude Simon en 1985 (1).
Si aucune liste de « nominés » n'est publiée et si un vrai huis clos entoure les délibérations de l'Académie qui décerne le prix, le nom de Le Clézio était fréquemment cité... en même temps que ceux de la romancière allemande d'origine roumaine Herta Müller, du poète sud-coréen Ko Un ou encore de l'Algérienne et membre de l'Académie française Assia Djebar.
Et parmi les autres lauréats possibles, reviennent régulièrement les noms d'Adonis, le poète syrien pseudonyme d'Ali Ahmad Said, de l'Australien Les Murray, du Péruvien Mario Vargas Llosa, de l'Israélien Amos Oz, du Japonais Haruki Murakami ou de l'Italien Antonio Tabucchi. Entre autres. Autant d'écrivains au sommet.
À noter pour l'anecdote la mini-polémique sur le prétendu antiaméricanisme de l'Académie suédoise, qui a précédé les délibérations. Celle-ci est venue des déclarations, reproduites dans les pages littéraires de la presse suédoise, du secrétaire permanent de l'Académie, Horace Engdahl, qui avait critiqué les écrivains nord-américains, les jugeant notamment trop influencés par la culture de masse. Certains n'écartant pas que M. Engdahl ait voulu ainsi brouiller les pistes et que les chances des Américains comme Philip Roth, Joyce Carol Oates ou Don DeLillo, soient intactes... Reste qu'il faut remonter à 1993 pour trouver un lauréat américain, la romancière noire Toni Morrison.
(1) Pour mémoire, la suite du palmarès : Jean-Paul Sartre (1964), Saint-John Perse (1960), Albert Camus (1957), François Mauriac (1952), André Gide (1947), Roger Martin du Gard (1937), Henry Bergson (1927), Anatole France (1921), Romain Rolland (1915), Frédéric Mistral conjointement avec José Echegaray y Eizaguirre, Espagne (1904).
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