L'Yonne, encore. Après l'affaire des jeunes handicapées mystérieusement disparues dans les années 1980 et l'enquête sur Émile Louis, la direction départementale de l'Action sanitaire et sociale du département de la Bourgogne septentrionale est à nouveau au centre d'une tempête.
Cette fois, c'est au sujet du centre d'hébergement médicalisé pour adultes handicapés Saint-Nicolas-Accueil de Villeneuve-sur-Yonne. Un foyer créé en 1996, qui accueille 44 résidents, parmi lesquels de nombreux jeunes, myopathes pour quelques-uns d'entre eux, mais aussi des malades en fin de vie, atteints de tétraplégie ou de sclérose latérale amyotrophique (SLA).
Trachéotomisé débranché
A l'origine des événements, la plainte déposée en octobre 2000 par Jérôme Mancié, un jeune résident de 28 ans atteint de maladie neuromusculaire, entièrement tétraplégique et trachéotomisé. Il accuse une aide-soignante, à laquelle l'opposait un différend, d'avoir débranché le respirateur qui lui permettait de rester en vie. Le malade serait resté ainsi plusieurs minutes à « changer de couleur », et n'aurait dû son salut, in extremis, qu'à l'intervention d'un autre salarié témoin de la scène et qui a réussi à procéder au rebranchement de la machine.
Dans la foulée, une autre plainte, devant la DDASS celle-là, est déposée par un patient souffrant de SLA, pour « non-assistance à personne en danger » et « mauvais traitements ».
Des manquements graves
Un médecin inspecteur, le Dr Corroza, mène l'enquête à Saint-Nicolas-Accueil. Dans ses conclusions, remises au préfet à la fin de l'été 2001, il « met en évidence des problèmes importants dans la vie de l'établissement : une organisation des soins perfectible, une gestion des ressources humaines opaque et conflictuelle, des manquements graves au respect des droits et de la dignité des usagers ».
Dix-neuf mesures sont en outre préconisées pour mettre un terme aux dysfonctionnements. Mais, « compte tenu de l'ampleur des mesures à prendre (...) et des changements radicaux que cela implique dans les objectifs et la méthode », la mission d'inspection émet « de fortes réserves quant à la capacité de l'équipe en place à mener à bien ce travail ».
Alertée, l'Association française des myopathes (AFM) tire la sonnette d'alarme, dénonçant « la gestion inadmissible de l'établissement » qui crée une « situation de maltraitance mettant gravement en danger les personnes handicapées qui y résident : propos diffamatoires et infantilisants, harcèlement moral et physique, brimades, représailles, humiliations, manque de respect sont fréquents ».
Dépêché sur place en octobre 2001 et en avril 2002, un psychologue de l'AFM fait état de douches froides infligées par un infirmier à des pensionnaires qui auraient « mal parlé » de son épouse, l'aide-soignante mise en cause dans la plainte pour débranchement du trachéotomisé. Selon lui, les patients sont en état d' « insécurité majeure », de « grande souffrance » et n'osent pas parler, de peur des représailles.
« Faut-il attendre qu'il y ait un décès pour que les pouvoirs publics interviennent ? », demande l'association dans un communiqué de presse.
La réponse est négative : coup sur coup, le directeur du foyer est renvoyé et le président présente sa démission - qui est acceptée.
La nouvelle directrice, Françoise Marquette, constate « l'impossibilité de travailler dans une ambiance de guérilla infantile et stérile ». Le conseil d'administration décide de ne pas renouveler son contrat lorsqu'elle arrive au terme de sa période d'essai de six mois, la semaine dernière.
Projet d'établissement
Mais l'administrateur provisoire finalement désigné par le préfet, Denis Rubinelli, directeur de l'hôpital de Villeneuve, décide de réintégrer Mme Marquette dans ses fonctions, cette fois avec un contrat à durée indéterminée. La directrice veut maintenant « travailler rapidement, dès le mois de juin, sur un projet d'établissement, la réorganisation des soins et la formation ».
« Au-delà du terrible fait divers dont fut victime Jérôme Mancié, explique-t-elle au « Quotidien », il subsiste dans le fonctionnement du foyer un problème de pouvoir exercé par certains cadres d'une manière totalitaire qui retentit sur le psychisme des résidents. »
Contactée à son cabinet de généraliste, le Dr Gloria Fernandez, 40 ans, qui exerce les fonctions de médecin chef de l'établissement depuis novembre 1997, salariée à raison d'une heure et quart six jours par semaine, s'insurge contre « la cabale orchestrée par des manipulateurs et des pervers : beaucoup de nos patients sont des jeunes psychodéficients dont on s'est servi pour porter des accusations graves et dénuées de fondements », assure-t-elle. Pour la praticienne, « rien, aucun fait suspect n'a jamais été réellement constaté. Pas même l'affaire du respirateur débranché, un épisode, estime-t-elle, qui reste à prouver et qui serait en fait une simple menace purement verbale et jamais mise à exécution ».
Avocat du président-fondateur démissionnaire du foyer, Michel Gigault, Me Denis Evrard va déposer de son côté une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du doyen des juges d'instruction pour « dénonciations calomnieuses ». « La majorité du personnel est complètement désabusée par les horreurs qu'on a pu lire et entendre, affirme Christine Rinaldi, aide-soignante élue au conseil d'administration. On nous traîne dans la boue, c'est monstrueux », s'indigne-telle .
Saint-Nicolas-Accueil continue cependant à fonctionner, en dépit de la fermeture administrative décidée par le préfet, de l'absence du médecin chef, en arrêt maladie depuis lundi, et de l'attente du jugement dans l'affaire Mancié qui ne devrait être connu qu'en juillet prochain.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature