De notre envoyé spécial
LA CONVENTION, un champ de ruines ? Le dialogue serein entre les libéraux et l'assurance-maladie, une utopie ? La confiance réciproque, un fol espoir ?
A ces trois questions, on serait tenté de répondre par l'affirmative à l'issue du débat très vif auquel ont participé les dirigeants de la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam), de la Mutualité, de la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf), du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss, qui réunit 25 associations de patients) et de l'Union nationale des professions libérales (Unapl).
Le « plateau », réuni à Saint-Etienne-du-Rouvray (près de Rouen), en Seine-Maritime, à l'initiative de l'union régionale de Haute-Normandie, était de haut vol. Les médecins locaux ont massivement répondu, ce qui n'est pas si fréquent : pendant près de quatre heures, plus de 200 praticiens, dont une majorité de généralistes, ont suivi et participé à cette discussion autour du « nouveau contrat » (social, conventionnel) à inventer pour les libéraux.
Le réquisitoire des patients.
La tâche s'annonce rude. Les acteurs ont dressé un état des lieux sombre, quand il n'était pas apocalyptique, du partenariat entre les médecins et l'assurance-maladie, censé incarner ce contrat social équilibré. De « l'esprit de 1971 », année de la première convention, qui fixait les droits et devoirs de chacune des parties (il prévoyait grosso modo le respect des tarifs opposables en échange d'avantages sociaux et fiscaux), il ne reste que des miettes. Le réquisitoire des patients est ici sans appel. En leur nom, Alain-Michel Ceretti déplore l' « anarchie » tarifaire, la multiplication de pratiques « illégales » (les dépassements d'honoraires ont conduit le collectif à saisir la direction générale de la Concurrence) , l'existence, à côté du secteur I, de « ce secteur II, une étrangeté très casse-gueule » et le constat d'une convention qui « n'oblige pas à grand chose ». « Les usagers ne comprennent plus rien », résume-t-il. L'analyse de la Mutualité française n'est pas plus encourageante. Etienne Caniard, délégué général, affirme qu'il y a eu « rupture de contrat des deux côtés » pour aboutir à des conventions « qui sont des accords de rémunération, pas des accords de qualité » et à des modes de régulation « qui font abstraction des efforts des professionnels ». Intarissable, le Dr Michel Chassang, président de la Csmf, explique pour sa part que le contrat conventionnel s'est « délité » pour devenir presque indéfendable. Beaucoup de médecins vivent aujourd'hui le secteur I comme un carcan. « En 1971, la convention était un avantage, en 2004, c'est un fardeau. » Le généraliste qui préside la Confédération y voit plusieurs causes : l'assurance-maladie se serait « interposée entre le patient et le médecin » et lui aurait « pourri la vie », nourrissant la crise « extrêmement profonde » du monde libéral. Surtout, les termes du contrat initial « ne sont plus équilibrés , donc plus crédibles : non seulement les patients qui consultent un médecin hors convention sont remboursés de façon dérisoire, mais l'échec des négociations conventionnelles est « uniquement imputé » à la profession médicale, à travers le règlement conventionnel minimal (RCM) pénalisant. Une situation intolérable. Quant à la confiance, ce serait un objectif saugrenu « quand les honoraires sont bloqués depuis 12 ans ».
Spaeth : « Où sont les sanctions ? »
Parce qu'il est un peu trop noir, ce tableau des relations conventionnelles fait réagir le président (Cfdt) de la Cnam, Jean-Marie Spaeth. « On me parle toujours des sanctions : mais quel médecin a été sanctionné ? On me parle de quotas : mais où sont les quotas ? Et qui peut dire que les médecins n'ont pas été revalorisés ? Où va l'argent, sinon dans les professions de santé et le système de soins? » Un peu plus tard, le patron de la caisse affirme, devant une salle sceptique, que l' « assurance-maladie a toujours honoré ses engagements ».
Expert en convention s'il en est, le Dr Claude Maffioli, qui a tenu les rênes de la Csmf pendant dix ans, raconte son expérience. « Petit à petit, il y a eu une dérive : les textes conventionnels ne comportaient quasiment aucun devoir pour les caisses, mais des pages et des pages de contraintes pour les libéraux. On a dévié, les caisses se sont comportées comme des employeurs. » Cette situation serait d'autant plus mal vécue par les libéraux que l'assurance-maladie s'est illustrée par sa « recherche croissante du pinaillage administratif ». Quant aux médecins-conseils « avec lesquels les rapports étaient plutôt bons », ils sont devenus des « contrôleurs ».
FMC : « Trop de palabres ».
Comment, dès lors, sortir du dialogue de sourds ? La promotion de la démarche qualité, des bonnes pratiques, et de l'évaluation des professionnels semble la seule issue possible. « En fonction du carnet d'adresses, il y a une inégalité d'accès à la qualité des soins, accuse Alain-Michel Ceretti , qui invite les médecins à accepter l'idée de rendre des comptes sur leur pratique. » En chef d'entreprise, il regrette « l'absence de promotion des médecins qui se défoncent ».
La puissante Mutualité française, dont l'ambition affichée est de cogérer le système de santé avec les régimes obligatoires en négociant directement avec les professionnels, tient le même type de discours. Le conventionnement, résume Etienne Caniard, doit céder la place à « une contractualisation plus fine » des libéraux favorisant la continuité des soins, la prévention, les pratiques coordonnées, mais aussi les « efforts » des praticiens pour actualiser périodiquement leurs compétences.
Quant à Jean-Marie Spaeth (Cnam), il estime lui aussi que « le contrat strictement tarifaire a vécu ». Il propose de l'enrichir sur des « bases médicales ». Dans la musette du patron de l'assurance-maladie, on trouve donc des « parcours médicalisés et fléchés », des « protocoles et des références » à respecter et autres « codes de la route » du système sanitaire.
L'acte et l'échelle des services.
Autant de nouvelles contraintes ? Pour la Csmf, un contrat avec la société digne de ce nom passe avant tout par des actes médicaux rémunérés « à leur vraie valeur ». « Notre acte ne représente plus rien dans l'échelle des services, déplore le Dr Chassang. Les médecins n'ont maintenu leur niveau de vie qu'au prix d'un surcroît d'activité. » Le discours confédéral est rodé. « Et si on augmente la valeur des actes, les volumes baisseront. »
Les échanges avec la salle confirment que le sujet du jour est un terrain glissant. Des médecins accusent la Cnam d'avoir des « frais de gestion opaques », de « ne pas transmettre certains chiffres ». Son président serait « obsédé par l'économique », et préparerait même le « génocide de la profession ». Arbitre involontaire de ces affrontements, Alain-Michel Ceretti s'inquiète du sort des usagers. « Les rapports médecins/caisses sont conflictuels, c'est malheureux. Quand je vois la forme des échanges, je suis inquiet. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature