LE XIXe SIÈCLE avait en partie préparé les choses : la révolution industrielle avait permis d'abaisser les coûts de transports, avec la généralisation de la machine à vapeur, et celui des communications, avec le télégraphe. Par conséquent, différentes parties du globe étaient mises en relation. Cela ne suffit pas pour créer une euphorie, au contraire, les transferts de richesses, des biens, de culture peuvent accroître les inégalités en allant fortifier ceux qui en ont le moins besoin. Ainsi l'industrialisation croissante, dans la mesure où elle se doublait d'un processus colonial, créait un processus à sens unique, des colonies vers les riches métropoles européennes.
Les secousses de l'histoire semblent plutôt avoir bloqué tout ce qui pourrait favoriser la mondialisation. Le marxisme se veut un internationalisme mais justement contre celui du capital. A la fin du XIXe siècle, les États se font protectionnistes, les crispations l'emportent sur l'ouverture : pangermanisme, chauvinisme revanchard en France, jingoïsme anglais. Le diable a de quoi rire, il n'y aura vraiment de mondial que deux guerres effroyables !
Doux liens.
Ce monde en lambeaux s'est peu à peu reconstruit. Des organisations internationales comme l'ONU, le FMI (Fonds monétaire international), la Banque mondiale tentent d'harmoniser et de pacifier une planète que la sérénité n'a pas totalement gagné : après l'immense horreur, naissent les conflits liés à la décolonisation. Mais en gros, les faits vont donner raison à Montesquieu, il n'y a pas de plus doux liens que le commerce. Depuis 1950, son volume a été multiplié par trente. Ce commerce n'est pas que satisfaction financière, dit Benoît Chevalier, car «l'ouverture des échanges a favorisé l'essor de la liberté, de l'autonomie et de la démocratie, tout en offrant des possibilités exceptionnelles de dialogue et d'entente entre les cultures et les sociétés».
Et puis, nous le disions plus haut, l'auteur effectue quelques belles évidences, la mondialisation est déjà là depuis un certain temps. Qu'est-ce que, par exemple, une entreprise américaine (l'exemple de ce qui pour certains constitue l'horreur même n'est pas pris au hasard) ? Est-ce une société dont le siège social est aux États-Unis ? Une société dont les capitaux sont majoritairement américains ? En fait pas forcément. Seuls le P-DG ou le conseil d'administration peuvent être américains, ou seulement les unités de recherche et de développement. Éclatement et dilution de la possession et de la gestion, la mondialisation brouille les cartes et affole ceux qui rêvaient d'un ennemi bien localisé, donc facilement attaquable et diabolisable.
La mentalité anglo-saxonne se plaît assez à ces figures. En 1864, Herbert Spencer écrivait « l'Individu contre l'État », un titre emblématique d'une volonté de réduction de l'appareil gouvernemental. Le modèle américain ne repose-t-il pas sur l'idée que plus une économie est ouverte et libéralisée, plus le bien-être collectif peut être assuré ? D'autant que l'État consacre surtout de l'argent à son propre fonctionnement. L'Europe semble avoir opté pour plus d'État, mais en contraignant celui-ci à promulguer des lois sociales. Récemment, la star de l'économie américaine Joseph Stiglitz a fait scandale en affirmant que la mondialisation ne devait nullement affaiblir l'État*. L'explosion des fameux « pays émergents », la Chine et l'Inde, montre que l'essor économique peut aller de pair avec un État puissant.
Solidarité et sécurité.
Au-delà de cette discussion, l'auteur insiste à nouveau sur la nécessité d'une gestion mondialisée de certains problèmes. Deux exemples illustrent ce propos. D'abord la sauvegarde de la planète ne peut relever d'un seul État, ni même d'un consortium de plusieurs. Le défi environnemental, avec en particulier la lutte contre le réchauffement climatique, exige une solidarité mondiale. L'autre exemple concerne les risques sanitaires : «Des maladies, comme la grippe aviaire ou le sras, nécessitent des actions communes des Etats. » On pensera à un troisième mousquetaire : avec Internet, la communication est, de fait, planétaire.
Mais quelle instance mondiale peut chapeauter de telles actions ? La gauche verra dans cette problématique une façon d'entériner encore plus le droit du plus fort : le bloc État-Unis/Europe disputera la suprématie au groupe des États émergents, une lutte d'influence qui risque de faire oublier l'intérêt général. La droite n'appréciera guère une souveraineté supranationale. Remercions l'auteur de discuter avec finesse et précision tous ces problèmes dans un livre trop encombré de croquis et graphiques. Utilisons pour répondre à une utopie très « mode » cette belle citation d'Éluard, «Un autre monde est possible, mais il est dans celui-ci».
Tout de même, il y aura des esprits, pas nécessairement chagrins, pour trouver le titre quelque peu trompeur. En expliquant la mondialisation, l'auteur ne contribue-t-il pas à la justifier plus qu'à la démystifier ?
Benoît Chevalier, « la Mondialisation démystifiée ». Préface de Pascal Lamy, « Autrement », 162 p., 17 euros.
* J. Stiglitz, « la Grande Désillusion », Fayard, Paris, 2002.
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