Par le Dr LÆTITIA MICHOU*
LE RÔLE du tabac dans les rhumatismes inflammatoires commence à être de mieux en mieux connu, notamment dans la polyarthrite rhumatoïde où il a été montré récemment que l'exposition à la fumée du tabac, en présence de certains allèles HLA-DRB1, permettrait de cibler des réactions immunes spécifiques des protéines citrullinées et serait à l'origine d'une interaction gène-environnement. Le tabagisme serait aussi un facteur de risque du lupus, en induisant plus fréquemment des anticorps anti-ADN.
Les premières études épidémiologiques réalisées chez des femmes atteintes de polyarthrite rhumatoïde montraient une faible augmentation du risque de PR, voire un effet protecteur lié au tabagisme. Cependant, dès 1993, des auteurs scandinaves ont montré que le tabagisme augmente le risque de PR avec facteur rhumatoïde positif chez les hommes fumeurs. Puis cette augmentation du risque de PR a ensuite été mise en évidence dans les deux sexes. L'apparition plus tardive dans les publications du tabagisme comme facteur de risque de PR avec facteur rhumatoïde positif chez les femmes est probablement en partie liée à l'évolution croissante de la consommation tabagique chez les femmes au cours de ces dernières années.
Cependant, quelques études ont aussi mis en évidence que le tabagisme était susceptible d'induire des faux positifs lors des dosages du facteur rhumatoïde. En effet, dans une étude portant sur 6 947 individus indemnes de PR, la prévalence de facteur rhumatoïde positif (titre ≥ 32) était de 2,1 % et de 1 % pour les réactions très positives (≥ 128), mais sans effet-dose entre l'exposition au tabac et la positivité du facteur rhumatoïde. En revanche, dans la PR, l'association devient particulièrement évidente en cas de forte consommation tabagique, soit de 41 à 50 paquets-années. Une quantification plus précise du tabagisme a permis de montrer que le risque de PR devenait apparent à partir de plus de vingt ans de tabagisme, mais à une faible intensité, de 6 à 9 cigarettes par jour (1). Ce risque persistait pendant dix à dix-neuf ans après l'arrêt de la consommation. Des résultats similaires ont été apportés par l'analyse prospective de 103 818 femmes américaines chez lesquelles le risque devenait significatif à partir de 10 paquets-années, puis s'accroissait de façon linéaire avec l'augmentation du nombre de paquets-années et restait élevé jusqu'à plus de vingt ans après l'arrêt de la consommation. Plus récemment, une interaction entre le tabagisme et la présence des allèles HLA-DRB1 à risque a été mise en évidence dans la survenue de PR avec facteur rhumatoïde positif uniquement (2). Puis il a été montré qu'il existait une interaction dose-dépendante entre le tabagisme et la survenue d'anticorps anti-CCP, en présence de certains allèles HLA-DRB1, conduisant à l'hypothèse suivante (3) : le tabagisme, en présence d'allèles HLA-DRB1, permet de cibler des réactions immunes spécifiques de la PR dirigées contre des protéines citrullinées. Il a ensuite été démontré que cette interaction gène-environnement était spécifique à la PR et était primitivement associée à la présence d'anticorps anti-CCP et non à celle de facteur rhumatoïde (4).
Dans les études épidémiologiques, le tabagisme a aussi été associé à une sévérité plus importante de la PR, en termes d'érosions radiographiques et sur les indices fonctionnels. L'exposition à la fumée du tabac favoriserait également l'apparition de manifestations extra-articulaires : nodules rhumatoïdes et vascularite rhumatoïde surtout chez l'homme.
Autres rhumatismes inflammatoires.
Une métaanalyse récente a montré un risque augmenté de lupus chez les fumeurs actifs en comparaison avec les non-fumeurs, sans excès de risque significatif chez les anciens fumeurs (5). Cette augmentation du risque de lupus en cas d'exposition au tabac pourrait être expliquée par une interaction avec l'haplotype ancestral HLA A1 B8 DR3, dont la fréquence est augmentée en cas de lupus. En effet, il existe une très forte interaction entre le tabagisme et des polymorphismes du HLA, avec un rôle potentiel des gènes de récepteurs olfactifs liés au HLA dans l'initiation au tabagisme. Le tabagisme est aussi associé à un accroissement de l'activité du lupus, avec augmentation de la positivité des anticorps anti-ADN et une tendance à une maladie plus sévère chez les fumeurs, indépendamment de l'augmentation du risque d'athérosclérose coronarienne. Le tabagisme augmente, de plus, le risque de manifestations dermatologiques du lupus, ainsi que du lupus discoïde. Enfin, certains auteurs ont suggéré que le tabagisme était impliqué dans l'échec des antipaludéens de synthèse chez des patients atteints de lupus chronique et subaigu.
Dans une étude finlandaise menée sur une cohorte de 58 841 enfants nés en 1987, les auteurs ont montré qu'un tabagisme maternel important (> 10 cigarettes par jour) pendant la grossesse, augmentait significativement le risque de polyarthrite inflammatoire et d'arthrite chronique juvénile chez les filles, mais pas chez les garçons (6).
Dans le syndrome de Gougerot-Sjögren primitif, le tabagisme serait associé de façon dose-dépendante à une réduction du score focal de sialadénite lymphocytaire sur les biopsies des glandes salivaires accessoires, et pourrait avoir une influence négative sur la présence d'anticorps anti-SSA/Ro et d'anticorps anti-SSB/La dans le sang périphérique. Cependant, ce résultat isolé semble insuffisant pour conclure à une association négative entre tabac et syndrome de Gougerot-Sjögren primitif (7).
Fédération de rhumatologie, hôpital Lariboisière, Paris.
(1) Stolt P, Bengtsson C, Nordmark B, Lindblad S, Lundberg I, Klareskog L et al. Quantification of the influence of cigarette smoking on rheumatoid arthritis: results from a population based case-control study, using incident cases. Ann Rheum Dis 2003 ; 62: 835-841.
(2) Padyukov L, Silva C, Stolt P, Alfredsson L, Klareskog L, For the Epidemiological Investigation of Rheumatoid Arthritis Study Group. A gene-environment interaction between smoking and shared epitope genes in HLA-DR provides a high risk of seropositive rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum 2004; 50: 3085-3092.
(3) Klareskog L, Stolt P, Lundberg K, Källberg H, Bengtsson C, Grunewald J et al., A new model for an etiology of rheumatoid arthritis. Smoking may trigger HLA-DR (shared epitope)-restricted immune reactions to autoantigens modified by citrullination. Arthritis Rheum 2006; 54: 38-46.
(4) Linn-Rasker SP, van der Helm-van Mil AHM, van Gaalen FA, Kloppenburg M, de Vries RRP, le Cessie S et al., Smoking is a risk factor for anti-CCP antibodies only in rheumatoid arthritis patients who carry HLA-DRB1 shared epitope alleles. Ann Rheum Dis 2006; 65: 366-371.
(5) Costenbader KH, Kim DJ, Peerzada J, Lockman S, Nobles-Kinght D, Petri M et al., Cigarette smoking and the risk of systemic lupus erythematosus. A meta-analysis. Arthritis Rheum 2004; 50; 849-857.
(6) Jaakkola JJK, Gissler M. Maternal smoking in pregnancy as a determinant of rheumatoid arthritis and other inflammatory of polyarthropathies during the first 7 years of life. Int J Epidemiol 2005; 34: 664-671.
(7) Manthorpe R, Benoni C, Jacobsson L, Kirtava Z, Larsson A, Lieddholm R et al., Lower frequency of focal lip sialadenitis (focus score) in smoking patients. Can tobacco diminish the salivary gland involvement as judged by histological examination and anti-SSA/Ro and anti-SSB/La antibodies in Sjögren's syndrome ?
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