D EPUIS qu'il est entré au gouvernement pour remplacer Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius s'est montré plutôt discret. Cet ancien Premier ministre, jadis adulé par Mitterrand, risquait de faire de l'ombre à Lionel Jospin. L'expérience a montré que le ministre de l'Economie et des Finances savait se cantonner à son rôle.
Alors que les dirigeants de la Banque centrale européenne ont parfois fait des déclarations qui n'ont pas aidé l'euro, M. Fabius s'efforce de rassurer les Français à la fois sur le passage à la monnaie unique et sur l'évolution de l'économie. Mais les chiffres sont têtus et le ministre a été contraint de tenir compte d'un ralentissement de la croissance dès cette année. Il l'a fait savoir aux Français et a dûment révisé ses projections. Il sait et il dit déjà que les recettes fiscales sont inférieures à celles de l'année dernière ; pas de miracle, pas de cagnotte et il va falloir se serrer la ceinture.
Une avarice de bon aloi
M. Fabius a tenu récemment le même langage à ses collègues du gouvernement qui lui ont d'abord reproché son arrogance (le patron, c'est Jospin, ce n'est pas Fabius) puis se sont insurgés contre des lettres de cadrage qui plafonnent le budget de beaucoup de ministères.
Un ministre de l'Economie un peu avare ne devrait surprendre personne, et surtout pas les membres du gouvernement. M. Fabius n'est pas sorti de son rôle et, s'il annonce des plafonds stricts, on devrait le prendre au sérieux. Bien entendu, c'est son rôle politique que certains ministres ont voulu remettre en cause : le ministre de l'Economie et des Finances s'écarterait de la ligne Jospin en limitant les programmes sociaux du gouvernement. C'est vite fait de porter des accusations au nom de l'idéologie : Laurent Fabius ne serait pas assez socialiste aux yeux de certains, alors que, en réalité, il dit seulement que le gouvernement ne peut pas dépenser l'argent qu'il n'a pas gagné.
Le conflit, d'ailleurs discret, entre M. Fabius et ses collègues n'a qu'une importance anecdotique. Il en ira tout autrement si M. Jospin souhaite faire des dépenses de type électoraliste auxquelles M. Fabius, pour sa part, ne trouverait aucune justification.
Le Premier ministre n'a pas réagi quand son ministre de l'Economie s'est élevé contre l'adoption, par l'Assemblée, de la loi de modernisation sociale assortie des clauses qui durcissent les conditions de licenciement. Le projet a donné lieu au différend que l'on sait entre M. Jospin et le Parti communiste. Sous la pression de M. Hue, les restrictions apportées à la liberté de licencier ont été renforcées. Il y a eu, dans ce long débat entre socialistes et communistes, une partie de poker politique où les convictions jouaient un rôle infiniment moins important que la nécessité urgente dans laquelle le PC se trouvait de reconquérir l'électorat qui lui a fait défaut lors des municipales.
Au fond, on en est là : tout le monde, dans la majorité, veut affronter les échéances de l'an prochain avec les meilleures chances. Et les chances se comptent en milliards distribués au bon peuple.
Une régression
Déjà, l'idée de renforcer les garanties des salariés à la suite de deux affaires micro-économiques (Danone et Marks & Spencer) avait été dénoncée par le patronat, mais aussi par un certain nombre d'experts qui ont critiqué la précipitation du gouvernement. Certes, l'indignation populaire est grande. Mais la vérité est que, si des entreprises qui font des profits ont tendance à améliorer leurs comptes au détriment des salariés, le ralentissement de l'économie n'a pas, à ce jour, entraîné une hausse du chômage. Quelques centaines d'emplois sont perdus ici, des milliers sont créés encore par l'économie. Le tableau n'est donc pas tout noir.
Mais M. Fabius dit autre chose. Il dit que, si les entreprises ont du mal, en temps de vaches maigres, à comprimer les effectifs, elles n'embaucheront pas en temps de vaches grasses et que la loi dite de modernisation sociale constitue, de ce point de vue, une régression susceptible d'accroître le chômage au lieu de le réduire.
Ce n'est que du bon sens, mais bien sûr, qui, dans le reste du gouvernement, a écouté M. Fabius ? On a préféré le présenter comme un cheval de Troie du libéralisme, comme un homme qui serait à l'aise en compagnie de la droite, comme un socialiste atténué au point d'être méconnaissable. Il demeure que le meilleur moyen de lutter contre le chômage consiste non pas à empêcher les licenciements mais à tout faire pour favoriser l'embauche. On n'en prend pas le chemin.
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