Chronique électorale
Les programmes de Jacques Chirac et de Lionel Jospin sont différents dans la mesure où le premier s'appuie davantage sur le dynamisme des entreprises pour soutenir la croissance économique et où le second croit davantage à l'intervention de l'Etat.
Ce n'est pas rien, nous l'avons écrit, et nous continuons à le croire, même si d'autres commentateurs continuent à tourner en dérision « bonnet blanc et blanc bonnet ». Néanmoins, il est tout à fait exact de dire que, dans les deux cas de figure, la victoire de M. Chirac ou celle de M. Jospin, le sort de chaque électeur ne sera guère modifié. C'est seulement dans l'hypothèse où l'un des challengers, par exemple Arlette Laguiller ou Jean-Pierre Chevènement, triomphait, que le changement serait profond.
Un mouchoir de proche idéologique
Mais cette hypothèse est bien peu probable en l'état actuel des enquêtes d'opinion ; et si les deux candidats du premier rang sont ex æquo dans les intentions de vote du second tour, c'est bien parce que les Français discernent mal ce qui les différencie et que, quoi qu'il arrive, la continuité sera assurée.
La France, c'est bien naturel, évolue au gré des législatures. M. Jospin, qui a ignoré l'insécurité pendant cinq ans, promet que, sur ce chapitre, il se rattrapera. Il n'y a pas de raison qu'il se déjuge sur ce point. M. Chirac, qui a combattu les 35 heures avec ardeur, n'entend nullement abolir la réduction du temps de travail (RTT) et se contentera d'en assouplir les modalités pour les petites entreprises. Ni M. Chirac ni M. Jospin ne diminueront l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), mais tous deux réduiront les impôts. Et on a tellement hurlé qu'il est temps de procéder à une réforme de l'Etat et des retraites que ni l'un ni l'autre n'en feront l'économie.
Pourquoi la bataille électorale se déroule-t-elle dans un mouchoir de poche idéologique ? Parce que la gauche a durablement marqué, depuis 1981, la vie des Français. De sorte que la droite a repris à son compte les réformes d'inspiration socialiste. Quand la droite a fait mine d'envisager la suppression de l'ISF, elle a été accueillie par un tel tollé qu'elle a vite remis l'idée dans sa poche ; quand Nicolas Sarkozy - au cours d'un débat intéressant avec Dominique Strauss-Kahn lundi soir sur France 2- a parlé des 35 heures, il s'est empressé de reconnaître qu'elles étaient désormais inscrites dans la loi et que la droite ne les remettrait pas en cause alors que, du point de vue des chiraquiens, elle représente l'une des plus graves erreurs de la législature qui s'achève. Mais comment nier que la RTT est immensément populaire ? Comment ne pas admettre qu'en France réduire les impôts des riches au nom de la lutte contre l'évasion des capitaux constitue une hérésie ? Et en même temps, comment ne pas voir que les chocs des réformes mitterrandiennes et jospiniennes ont été, avec le temps, absorbées, principalement parce qu'il n'y a pas eu de révolution ?
Rupture ou non
C'est d'ailleurs bien ce que reprochent à M. Jospin les Verts, les communistes et les chevènementistes. Ils cherchent, sans le trouver, son radicalisme, une politique de rupture, comme ils disent, mot à la fois révolutionnaire et négatif. Droite ou gauche ont beau dire, elles ratissent au centre, ce centre qui, incarné par François Bayrou, ne semble pas plus grand qu'un confetti, mais qui est dans le cur de l'immense majorité de ces dépolitisés qui forment l'électorat. Les formidables sursauts catégoriels, la hargne des corporations, la révolte des métiers, le sens croissant de l'injustice, le fait même que les inégalités n'ont pas disparu et qu'il y a encore en France des millions d'exclus, des dizaines de milliers de SDF, des gens qui travaillent mais ne gagnent pas de quoi vivre, n'ont pas suffi à déclencher le changement. Et ceux qui le préconisent, sous une forme ou autre, sont minoritaires. En d'autres termes, il n'y a pas assez de Français malheureux pour qu'un ou une trotskiste soit porté au pouvoir, pas assez de Français qui placent la Nation au-dessus de leurs intérêts individuels pour élire M. Chevènement, pas assez d'intolérants pour choisir M. Le Pen.
C'est sûr et certain, on a affaire à un vote de résignation et c'est tellement vrai que personne ne raisonne en termes de premier tour. Les sondages pédalent à vide : Arlette Laguiller à 9 % ! Feu de paille. Si les Français sont à 50/50 pro-Chirac et pro-Jospin, cela ne veut pas dire qu'un abîme sépare deux parties égales du peuple, mais que le peuple, s'il pouvait, élirait les deux. Rien ne lui interdit d'ailleurs d'en élire un et de lui donner une majorité parlementaire de l'autre bord.
Le problème que pose cet étrange rapport de forces, c'est qu'il étouffe le feu réformateur. L'autre soir, ni M. Sarkozy ni M. Strauss-Kahn n'ont dit du mal des fonctionnaires, parés à leurs yeux de toutes les vertus. Le chantre de M. Chirac parle de « redéployer » leurs effectifs, alors qu'il faut aussi les diminuer ; quant à celui de M. Jospin, qui pense, au fond de lui-même, comme son adversaire, il prétend n'avoir jamais assez de fonctionnaires. Voilà un pays où personne ne se dit de droite ou ne semble raisonner comme la droite ; ce peuple est merveilleux et méritant, il a droit à toute la sollicitude des candidats, et il vaut mieux avoir assez de voix pour s'emparer du pouvoir que dire la vérité.
Car la vérité ne fait pas élire : vous ne pouvez pas dire aux porteurs de bulletins de vote qu'ils sont en surnombre, vous ne pouvez pas leur dire qu'ils doivent travailler plus et plus longtemps si la France doit conquérir des places de marché et financer leurs retraites ; vous ne pouvez pas leur dire que la justice sociale est au bout de l'effort.
Plus à gauche,tu meurs
M. Jospin est donc plus à l'aise dans ses habits de gauche que M. Chirac dans ceux d'une droite « éclairée », devenue tellement intelligente qu'elle va favoriser les petits au détriment des gros. Logiquement, M. Jospin devrait donc l'emporter et il devrait y parvenir sans mentir tout à fait : il est la gauche raisonnable qui ne bouleversera ni les structures économiques ni la French way of life. Plus à gauche que lui, littéralement, tu meurs, parce que tu sombres dans de tels excès que tu détruis le tissu économique et social.
M. Chirac, au contraire, doit mentir, parce que le courage qui consisterait à tenir à l'électorat un discours plein d'appels à l'effort et à l'austérité serait suicidaire. Et aussi parce que c'est compliqué de dire qu'on crée des emplois en travaillant davantage, qu'on ne viendra à bout de la misère qu'en élevant le niveau de vie général, qu'on rendra les rues plus sûres si on rétablit l'autorité des pouvoirs publics et le sens civique des familles. C'est tellement compliqué que le très brillant Nicolas Sarkozy qui, d'habitude, a réponse à tout, ne l'a pas emporté contre son non moins brillant adversaire.
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