PAR LE Pr BERTRAND DAUTZENBERG*
LE DECRET Bertrand du 15 novembre 2006 visant à protéger les Français du tabagisme passif prévoyait un délai d'application jusqu'au 1er janvier 2008 pour le secteur des cafés, hôtels, restaurants, discothèques et casinos (CHRD), alors que, dès le 1er février 2007, l'ensemble des lieux clos et couverts devait être non fumeur dans les autres secteurs professionnels et dans les lieux publics.
Les premiers résultats disponibles de l'application du décret montrent que l'application est assez satisfaisante (bien que non parfaite) dans les deux secteurs CHRD et hors CHRD. Ainsi la pollution des locaux par les particules fines a diminué de 80 % dans les deux secteurs dès le premier mois de l'application. Mais le taux de dépassement des valeurs limites admises pour la pollution de l'air des villes par les PM 2,5, qui n'était que de 13 % en janvier 2007 avant l'application du décret dans les lieux de travail et les lieux publics, restait voisin de 60 % dans le secteur CHRD en décembre 2007, juste avant l'application du décret. Si la baisse est du même ordre dans les deux secteurs, la pollution par les particules fines et les nanoparticules de la fumée du tabac était et reste plus importante dans le secteur CHRD.
Les sondages conduits mensuellement par l'INPES dans le cadre du suivi du décret, qui interrogent en particulier sur l'exposition à la fumée du tabac d'un échantillon représentatif de 1 000 personnes, montrent la même évolution.
Cette différence d'intensité du taux de pollution initiale explique que si durant toute l'année 2007, aucune variation significative du taux d'infarctus du myocarde vus aux urgences dans 32 hôpitaux n'a été observée, une baisse de 15 % des admissions pour infarctus du myocarde a été en revanche constatée en janvier 2008 chez les moins de 65 ans.
Même si ces données demandent à être confirmées par d'autres sources, elles sont cohérentes avec ce qui a été observé dans huit autres pays ou régions. Mais aucun des pays ou régions qui avaient effectué une telle surveillance n'avait fait comme la France un arrêt en deux temps. Les résultats de la France laissent, sur les données actuelles, présumer d'un effet très important de la pollution du secteur CHRD dans la survenue d'infarctus du myocarde, secteur où les taux de pollution par les particules fines de la fumée du tabac sont les plus intenses quand le tabagisme y est autorisé.
Le secteur des restaurants a été celui qui a le mieux suivi l'application du décret Bertrand, avec un nombre infime d'installation de fumoirs, du fait des exigences techniques fortes nécessaires à l'installation de tels fumoirs. Le respect de l'interdiction est bon et le retentissement global de l'interdiction sur la fréquentation des établissements est modéré.
Les discothèques respectent également massivement le décret, des espaces fumeurs extérieurs ont été installés dans les établissements situés à distance de zones habitées, des fumoirs clos aux normes ont parfois été installés dans de nombreuses boîtes de nuit.
Les cafés sont également massivement devenus des espaces non fumeurs. Les terrasses restent l'objet de polémiques car, si une des circulaires d'application du décret prévoit qu'une terrasse est un espace totalement séparé du café lui-même et totalement ouvert sur un côté, certaines interprétations des textes en sont très éloignées, et on peut rester enfumé sur ces terrasses. Dans les établissements qui ont joué le jeu, de nouvelles clientèles, en particulier familiales, apparaissent et peuvent conduire à des augmentations significatives du chiffre d'affaires, ce qui n'est pas le cas dans les établissements où les patrons refusent d'évoluer. Ces établissements continuent à subir la baisse de fréquentation installée et le recul n'en est qu'accéléré par le décret Bertrand.
Les quelques centaines de bars à chicha qui existaient en 2007 ont massivement fermé ou sont redevenus, comme ils l'étaient auparavant, des salons de thé orientaux, qui pourront toujours aux beaux jours servir des chichas dans les patios ou sur les terrasses ouvertes. Certains essayent de contourner la loi en se déclarant « club privé de fumeurs », mais ce phénomène est marginal.
Globalement, si l'effet du décret Bertrand sur l'exposition au tabagisme passif est très spectaculaire, l'effet sur la consommation de tabac et l'arrêt est quasi nul. S'il y a eu, durant quelques mois au début de 2007, une petite augmentation de la demande d'arrêt du tabac, les indicateurs de début 2008, en ce qui concerne l'utilisation des médicaments d'arrêt du tabac, le nombre de nouveaux patients vus en consultation de tabacologie ou les appels à Tabac Info Service (0.825.309.310), sont restés au niveau de ceux d'un mois de janvier « ordinaire ». Les ventes de tabac en janvier-février 2008 ont baissé de 2,3 % en volume, mais augmenté de 3,6 % en valeur par rapport à janvier-février de l'an dernier, variations non significatives et très proches des ventes de 2005 et 2006. Après la victoire que la France vient de vivre sur le tabagisme passif, de nouvelles initiatives sont nécessaires pour faire baisser le tabagisme actif et la mortalité qui lui est due.
* Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
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