IL AURA FALLU 40 demi-journées d'audience (plus de 280 heures), dans le procès de l'hormone de croissance, pour que les sept médecins et pharmaciens, qui répondent de ce scandale sanitaire, connaissent les réquisitions du ministère public. Contre le Pr Jean-Claude Job, 85 ans, endocrinologue pédiatrique, président de France Hypophyse (FH), association para-administrative au coeur du dossier, qui a reçu de l'État le monopole de la collecte des glandes endocrines et de la prescription du médicament, le parquet a requis quatre ans de prison avec sursis. La même peine est requise contre le Pr Fernand Dray, 85 ans, biochimiste, chef de l'unité de recherche en immuno-analyse (URIA) de l'Institut Pasteur, pour négligences dans l'extraction et la purification de l'hormone de croissance ; la relaxe est en revanche demandée pour les accusations de malversations financières. Les deux vice-procureurs, Danièle Mirabel et Dominique Pérard, ont demandé un an avec sursis contre le Dr Elisabeth Mugnier, 59 ans, pédiatre responsable de la collecte dans les morgues des hôpitaux, pour n'avoir pas éliminé les hypophyses douteuses.
Sa consoeur, Micheline Gourmelen, 72 ans, médecin prescripteur, échappe à une quelconque peine, tout comme le Pr Jacques Dangoumau, 72 ans, de la direction de la pharmacie et du médicament à la Santé – malgré sa «passivité» – et Henri Cerceau, 70 ans, de la Pharmacie centrale des hôpitaux de Paris (PCH), lequel ne peut être tenu pour responsable des «fautes» de son subordonné. Celui-ci, Marc Mollet, 83 ans, se voit menacé de deux ans de prison avec sursis. La PCH, qui s'occupait du conditionnement du produit et de sa distribution, n'a ni renvoyé ni détruit les lots positifs, et elle a continué à mettre en circulation des lots non inactivés jusqu'en février 1986 alors qu'un traitement à l'urée aurait dû être mis en oeuvre dès le mois de mai 1985.
Les sept prévenus sont poursuivis pour homicide involontaire et tromperie aggravée, à l'exception du Pr Dangoumau et du Dr Gourmelen mis en examen uniquement pour la première qualification. Pendant sept semaines, des dizaines d'experts ont multiplié, à la barre, les dépositions contradictoires sur l'état exact des acquis scientifiques dans les années 1980. Deux prix Nobel sont venus au secours de l'institut Pasteur, dont le Laboratoire URIA avait en charge l'extraction de l'hormone de croissance. L'Américain Stanley Prusiner, découvreur du prion, l'agent infectieux de la MCJ, assurera n'avoir réalisé le danger de la contamination qu'en 1985. Jean-Claude Job, responsable de France Hypophyse, est venu demander «pardon». Mais les parties civiles ont mis en cause la «solidarité des mandarins» et leur «suffisance». Elles sont confortées par les propos du Pr Jeanne Brugère-Picoux, enseignante à l'école vétérinaire de Maisons-Alfort (Val-de-Marne), selon qui «il y a eu beaucoup d'alertes sur les risques à partir de 1974» (« le Quotidien » du 3 mars). Le prétoire, qui jusqu'alors s'était transformé en société savante, a laissé la place fin mars aux larmes, à la douleur. Durant six semaines, il a entendu la lente et déchirante agonie des 117 jeunes morts de la MCJ à ce jour. Quelque 800 autres vivent encore avec le «syndrome de l'épée de Damoclès». Certains parents, lourds de culpabilité pour avoir soumis leurs enfants à un traitement mortel, ont parfois frôlé l'injure à l'égard des prévenus avant un rappel à l'ordre du président Olivier Perrusset. Au risque de donner au tribunal un air de chapelle ardente, la justice a estimé que leurs paroles méritaient d'être publiquement exprimées, au nom d'un travail de deuil.
Déjà, certains observateurs s'étonnent que l'on puisse prononcer des sanctions – parlant d'une opération de «catharsis sociale» convenue et obligée –, alors que l'incertitude a plané d'un bout à l'autre du procès. Aucun lien de causalité avéré n'est apparu. Aurait-on appris des «choses» si, en 1993, les locaux d'URIA n'avaient pas été rasés et les archives disparu dans un incendie ? En 1998, un rapport de police a dénoncé l'élimination volontaire de pièces scientifiques capitales et des négligences organisées afin d'empêcher l'enquête judiciaire de progresser. Selon le Pr Claude Got, spécialiste des risques*, «il convient de comprendre, dorénavant, ce qui s'est passé. Les moyens utilisés pour atteindre des objectifs revêtent souvent une importance plus grande que les objectifs poursuivis, souligne Claude Got plagiant Hannah Arendt. Chaque fois qu'un projet prend forme, il faut lui associer un responsable, chargé d'en assurer la visibilité, et toute procédure rendue opaque lui vaudra d'être sanctionné».
Pour le Dr Irène Kahn-Bensaude, pédiatre chargée de la section santé publique au Conseil national de l'Ordre, «l'hormone de croissance, à l'image du sang contaminé, renvoie aux connaissances scientifiques de l'époque» qui n'étaient pas celles acquises au lendemain de ces catastrophes. Et d'ajouter, «même avec le principe de précaution que l'on a appris à faire jouer depuis, rien ne permet d'affirmer que nous sommes en mesure d'éviter à 100% un drame éventuel. Certes, nous disposons d'agences de sécurité sanitaires et, en matière de dysfonctionnements de services, on peut espérer que les leçons de l'hormone de croissance extractive sont tirées».
Principe de précaution. En fait, les autorités sanitaires, comme la communauté scientifique et médicale, n'auront pas attendu la justice de la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour évoluer. La santé publique est sanctuarisée, et le sacro-saint principe de précaution est devenu la règle. Le scandale du sang contaminé, qui remonte à la même époque que l'hormone de croissance contaminée, a nourri cette culture de la sécurité sanitaire apparue au forceps judiciaire depuis une dizaine d'années. Dans les services d'endocrinologie pédiatrique, on fait remarquer que la page du mandarinat bardé de certitudes a été définitivement tournée. La génération des médecins du XXIe siècle se veut «questionnante». La formation professionnelle continue et la pharmacovigilance ont changé les comportements. Bien sûr, tout nouveau produit demeure potentiellement dangereux. Le risque reste consubstantiel à l'innovation. En revanche, un suivi drastique et des procédures de recherche plus structurées permettent de diminuer au minimum les risques. De son côté, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a tenu à rappeler, à l'ouverture du procès de l'hormone de croissance extractive, qu'il n'y a «absolument aucun risque» d'infection avec les hormones recombinantes**.
Le tribunal correctionnel de Paris devrait mettre son jugement en délibéré, vraisemblablement à la rentrée judiciaire de septembre. Auparavant, et jusqu'à la fin du mois, se déroulent les plaidoiries des avocats des parties civiles.
* Claude Got prépare la sortie de son nouvel ouvrage intitulé « Le mensonge en sécurité routière ».
** La production d'hormone de croissance a été définitivement arrêtée en juin 1988. L'AFSSAPS a lancé, en 2007, une étude épidémiologique, avec des endocrinologues et des pédiatres, afin d'évaluer à long terme le devenir des jeunes adultes traités dans leur enfance par des hormones biosynthétiques.
La position de l'institut Pasteur
Reconnu civilement responsable, en septembre 2003, de la mort par MCJ de Pascale Fachin, du fait de produit défectueux, l'Institut, avec son unité de recherche en immuno-analyse (Uria), dirigée par le Pr Dray, a toujours affirmé n'être «en rien responsable de la contamination». Celle-ci, explique-t-il, «est de nature biologique» et «ne peut, en aucun cas, être née au stade des traitements physico-chimiques effectués» à l'Uria, car «les hypophyses étaient infectées déjà au moment de leur prélèvement».
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