ALORS QUE, outre-Atlantique, deux produits sont officiellement indiqués dans le traitement de la fibromyalgie, en Europe – et notamment en France –, les praticiens sont beaucoup plus démunis, puisqu'ils ne disposent actuellement d'aucun médicament spécifique de cette affection. Pourtant, même si les mécanismes physiopathologiques à l'oeuvre sont encore débattus, il ne peut être question de laisser ces patients souffrant de douleurs chroniques sans prise en charge. Une prise en charge qui, comme le souligne le Dr Serge Perrot, se doit d'être multidimensionnelle en ciblant trois axes différents. Tout d'abord, il est capital d'éviter la « désinsertion physique » par une réadaptation à l'effort. Deuxièmement, les aspects psychologiques de la maladie doivent être contrôlés grâce à diverses techniques, comme la relaxation, la gestion du stress, voire une psychothérapie. D'un point de vue pharmacologique, enfin, les antalgiques standards, tels le paracétamol ou les associations paracétamol-tramadol, peuvent être utiles ponctuellement, par exemple avant une activité de la vie quotidienne susceptible de déclencher des douleurs.
Antiépileptique et antidépresseurs d'action mixte.
Quant au traitement de fond, qui vise à rétablir une modulation correcte du message douloureux, il fait appel à deux types de molécules : la prégabaline, antiépileptique agissant sur les mécanismes d'hypersensibilisation centrale à l'origine de la douleur, et les antidépresseurs, qui sont employés pour une propriété indépendante de leur effet princeps: le renforcement des contrôles inhibiteurs descendants. En ce qui concerne cette dernière classe, il a été fait appel en premier lieu aux tricycliques, mais leur mauvaise tolérance leur a progressivement fait préférer des produits plus récents et particulièrement ceux qui ont une action mixte. Une catégorie à laquelle appartient le milnacipran (Ixel), inhibiteur de la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine, qui vient de faire l'objet d'une vaste étude multicentrique européenne, randomisée, dans la fibromyalgie. Au total, 876 malades ont reçu en double aveugle soit un placebo, soit le milnacipran, à raison de 200 mg/j. L'analyse principale reposait sur une procédure séquentielle évaluant un critère composite de réponse, puis la variation du score du Fibromyalgie-Impact-Questionnaire (FIQ). Dans le critère composite, le patient était défini comme répondeur si sa douleur était améliorée d'au moins 30 % par rapport à l'état initial et s'il avait un score de 1 ou 2 sur l'échelle Patient-Global-Impression-of-Change (PGIC).
Après seize semaines de traitement, selon le critère composite, il y a eu significativement plus de répondeurs chez les patients sous milnacipran que dans le groupe placebo (odds ratio : 0,9 ; p = 0,0003). De même, une amélioration significative a été constatée en utilisant le score du FIC (p = 0,015). De fait, cet antidépresseur a témoigné d'une action globale et fonctionnelle, attestée par une amélioration significative des différents scores de douleur (douleur pendant les dernières 24 heures, douleur la semaine précédente, score du Brief-Pain-Inventory), mais aussi des scores du Short-Form-36 (Mental and Physical Components), des scores totaux des échelles de fatigue (Multidimensional-Fatigue-Inventory) et de fonction cognitive (Multiple-Ability-Self-Report- Questionnaire). Pour le Dr Serge Perrot, ces résultats montrent ainsi que le milnacipran exerce non seulement un effet antalgique de fond dans la fibromyalgie, mais aussi une action bénéfique sur les autres symptômes associés que sont la fatigue et les troubles du sommeil s'intégrant dans un état d'hypervigilance chronique liée à l'hypersensibilisation centrale permanente.
Ces résultats ont été confortés par une étude contre placebo menée chez 92 patients soumis à un test de douleur provoquée. Il a pu être mis en évidence, en imagerie fonctionnelle, que le milnacipran, administré à la dose de 200 mg par jour, provoquait une activation des régions cérébrales impliquées dans le tonus inhibiteur descendant, que l'on sait être altéré dans la fibromyalgie. Il reste aujourd'hui à savoir combien de temps il faut traiter ces patients qui, le rappelle le Dr Perrot, ont souvent un long passé de douleurs chroniques avant que ne commence une prise en charge adaptée.
D'après un entretien avec le Dr Serge Perrot, Hôtel-Dieu, Paris.
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