La prédiction de Roselyne Bachelot s’est, semble-t-il accomplie : lors de la passation de pouvoirs le 15 novembre dernier, la nouvelle ministre de la Cohésion sociale avait prévenu Nora Berra, secrétaire d’État à la Santé, et Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé : « Vous devrez faire une croix sur vos week-ends, le ministère de la Santé n’est pas de tout repos. » Cela n’a pas manqué : le jour même de la passation de pouvoir, un communiqué de l’Afssaps révélait que le médicament Mediator, selon une étude de la Cnamts, aurait fait quelque 500 morts en France. D’autant qu’une plainte au pénal a été déposée contre les laboratoires Servier. Jacques Servier, patron des laboratoires éponymes, s’est dit « stupéfait » par les résultats de l’étude Cnamts, qualifiant les 500 morts « d’extrapolations ». Le Médiator sera-t-il la croix à porter de Xavier Bertrand et Nora Berra ?
Conflit d’intérêt ?
S’il est trop tôt pour le dire, il semble certain que cette affaire a d’ores et déjà désarçonné Nora Berra. Médecin (cf. encadré), elle a travaillé pour l’industrie pharmaceutique durant dix années, entre 1999 et 2009. Flairant le conflit d’intérêt, le député PS Gérard Bapt a demandé sa démission suite aux révélations sur le Mediator. Son vœu n’a pas été exaucé, mais Nora Berra risque de traîner une réputation sulfureuse « d’honorable correspondante » de l’industrie pharmaceutique au sein du gouvernement… En tout cas, cette entrée en matière a quelque peu éclipsé l’accueil plutôt favorable réservé à Xavier Bertrand. Secrétaire d’État à l’assurance maladie en 2004, puis ministre de la Santé de 2005 à 2007, Xavier Bertrand a laissé un bon souvenir, en particulier chez les médecins libéraux, pour sa conduite de la réforme de l’assurance maladie. D’ailleurs, on l’avait aperçu en septembre dernier à l’université d’été de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). La CSMF a salué le changement et a appelé à « une reprise du dialogue pour rendre la confiance, aujourd’hui perdue, aux médecins libéraux ». À l’hôpital, l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf) présidée par Patrick Pelloux a accueilli l’arrivée du tandem avec bienveillance. L’Amuf « espère que des relations normales pourront être nouées avec Xavier Bertrand et Nora Berra secrétaire d’État à la Santé », après « l’absence de dialogue » avec Roselyne Bachelot. Mais il est fort à parier qu’une grande partie de l’attention du ministère soit accaparée par la réforme de la médecine de proximité. Lors de sa prise de fonctions, Xavier Bertrand a souligné que le nouveau gouvernement entend porter toute son attention à la médecine générale. Élisabeth Hubert, ancienne ministre de la Santé, a d’ailleurs rendu les conclusions de sa mission sur la médecine généraliste fin novembre. Le président de la République, en déplacement dans le Calvados le 1er décembre, a annoncé dans la foulée les mesures qu’il comptait mettre en œuvre : forfaitisation de certains actes relevant de la prévention ou de la santé publique, facilitation de la création de pôles de santé, aide à l’installation de jeunes internes dans les déserts médicaux…
Bioéthique, médecine du travail, loi de 1990…
À charge pour Nora Berra et Xavier Bertrand de mettre en musique ces réformes, avant les échéances de la présidentielle de 2012… Autre chantier : la bioéthique. Le projet de loi de révision des lois de bioéthique – de 1994 à 2004 – dont la mesure phare est la levée possible de l’anonymat des donneurs de gamètes lorsque l’enfant le demande, devrait être examiné prochainement devant le parlement. La réforme de la médecine du travail devrait également faire l’objet d’une loi spécifique. Rappelons que cette réforme, introduite par amendement dans le projet de loi sur les retraites, a été retoquée par le Conseil constitutionnel, jugeant qu’il s’agissait d’un cavalier législatif. Autre réforme législative que le gouvernement devra remettre sur le métier, faute de blanc-seing du Conseil constitutionnel : la réforme de la loi du 27 juin 1990 sur l’hospitalisation sous contrainte. Présenté en Conseil des ministres en mai dernier, ce projet de réforme devrait être examiné prochainement à l’Assemblée nationale. Mais le Conseil constitutionnel, saisi le 24 septembre dernier, vient de rendre un avis qui censure un article de ce texte. Après examen, le Conseil a déclaré que le maintien de l’hospitalisation au-delà de 15 jours ne peut être maintenu en l’état. Car, rappelle le Conseil, « l’article 66 de la Constitution stipule que "la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible" ». Donc il faut en conclure que le maintien de l’hospitalisation d’office au-delà de 15 jours n’est possible que si le juge est saisi dans les plus courts délais. Un avis dont devront tenir compte Et Xavier Bertrand et Nora Berra.
Des dossiers déjà ouverts
Xavier Bertrand devrait également se pencher sur des dossiers qu’il avait ouverts lors de son passage avenue-Duquesne entre 2005 et 2007. L’on se rappelle qu’il fut le ministre du lancement du plan Hôpital 2012. En janvier dernier, Roselyne Bachelot annonçait la clôture de la première tranche d’Hôpital 2012 : « Au terme de la première tranche, le niveau des investissements validés s’élève à 4,575 milliards d’euros, dont 2,202 milliards d’aides […] C’est la raison pour laquelle je vous confirme aujourd’hui l’ouverture de la deuxième tranche du plan dans les prochains mois. » Depuis cette promesse, les hospitaliers attendent encore les subsides annoncés, soit 5 milliards d’euros, dont 2,5 milliards d’aide… Autres mécontents, les chirurgiens, anesthésistes et obstétriciens libéraux, dont les primes d’assurance ont quasi doublé entre 2006 et 2010. En 2006, sous l’impulsion de Xavier Bertrand, un décret du 6 décembre octroyait une aide de l’assurance maladie pour la contractualisation d’une assurance en responsabilité civile médicale : elle était plafonnée à 18 000 euros pour les obstétriciens, 7 000 euros pour les anesthésistes, et 15 000 euros pour les autres spécialités chirurgicales. « Le reste à charge, pour les spécialistes, ne devait pas excéder 5 000 euros. Or, entre-temps, nos primes d’assurance ont doublé. Si bien que notre reste à charge en moyenne avoisine les 10 000 euros. Nous n’avons pas eu satisfaction de nos demandes dans le cadre du PLFSS 2011 », s’inquiète le Dr Jean Marty, président du Syngof. Reçu le 2 décembre dernier, le président du Syngof, également président du BLOC (cf. p ???), a toute confiance en Xavier Bertrand. « Nous espérons qu’à l’issue de la remise du rapport Johannet, le ministre trouvera une solution aux augmentations de primes d’assurance. Nous demandons l’indexation de l’aide de l’assurance maladie sur l’augmentation des primes, mais aussi la résolution des trous de garantie de nos assurances. » Le Syngof n’est pas le seul syndicat à placer de grands espoirs dans le retour de Xavier Bertrand. La Fehap, également, espère bien que le différentiel de charge entre établissements privés non lucratifs et établissements publics, soit enfin résolu. En 2006, Xavier Bertrand avait demandé à l’Igas de statuer sur le différentiel de charges entre ces deux types d’établissements. « Cette mission de l’Igas avait conclu que les établissements non lucratifs payaient en moyenne 4 % de charges sociales de plus que les établissements publics. Puis, Xavier Bertrand a quitté le ministère de la Santé, et ses successeurs, Philippe Bas et Roselyne Bachelot n’ont pas souhaité régler ce dossier épineux », rappelle Yves-Jean Dupuis, délégué général de la Fehap. Mais le dossier serait en cours de résolution. « Lors de l’examen par la commission mixte paritaire (CMP) du PLFSS 2011, Xavier Bertrand a demandé que, pour l’année 2011, une enveloppe de 40 millions d’euros nous soit allouée afin d’éponger le différentiel de charge. C’est un pas en avant, même si nous estimons que ce différentiel représente 77 millions d’euros. » Rendez-vous a été pris avec Xavier Bertrand pour aplanir ce dossier le 15 décembre.
Les hommes de Bertrand
Xavier Bertrand n’arrive pas seul aux commandes de la Santé. Au moment où le gouvernement était remanié, l’Élysée renouvelait également ses conseillers santé et social. Raymond Soubie étant sur le départ, il a été remplacé par Jean Castex, maire de Prades depuis 2008 et surtout ancien directeur de cabinet de Xavier Bertrand (au ministère de la Santé, puis au Travail) et ex-directeur de la DGOS. Par ailleurs, le directeur de cabinet de Nora Berra n’est autre que François-Xavier Selleret, lequel, directeur d’hôpital de formation, fut conseiller technique de Xavier Bertrand à la santé et au travail. À ce titre, il a eu à travailler sur la réforme de la médecine du travail, qui devra être mis en place d’ici à la fin de l’année. Si Xavier Bertrand bénéficiera de complicité, tant à l’Élysée qu’au secrétariat d’État, il devra également collaborer activement avec d’autres ministères sur des dossiers transversaux. Ainsi, un décret du 25 novembre dernier définit le périmètre d’action de Xavier Bertrand et les missions partagées avec d’autres ministères. Il aura autorité, avec le ministère de la Cohésion sociale de Roselyne Bachelot, sur la direction de la Sécurité sociale, la Drees, l’Igas, le secrétariat général des ministères chargés des Affaires sociales. Et devrait également collaborer avec le ministère de la Cohésion sociale sur la création d’une branche dépendance en 2011.
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