En matière de théâtre, depuis des années, le meilleur vient souvent du Québec. Denis Marleau nous en administre une nouvelle preuve avec la création de « Catoblépas », première pièce de Gaétan Soucy, dont le roman « la Petite Fille qui aimait trop les allumettes » avait retenu l'attention des critiques, en France, il y a quelques saisons*. On connaît très bien Denis Marleau, dont de nombreux spectacles ont été présentés en France, au festival d'Avignon notamment. « Passage de l'Indiana » et « le Petit Köchel », de Normand Chaurette, « Maîtres anciens », de Thomas Bernhard, « Nathan le sage », de Lessing, c'était lui. Marleau est un artiste sensible à la forme, qui s'est toujours intéressé de près aux arts plastiques, aux écrits des peintres, mais quelqu'un qui aime aussi les textes qui ont de la tenue, une résistance. Du style.
C'est lui qui a favorisé le passage de Gaétan Soucy, professeur de philosophie, formé à la physique et aux mathématiques, et qui s'est passionné pour la culture nipponne jusqu'à séjourner au Japon et à apprendre la langue. Les romans de Soucy sont singuliers, qui puisent aux sources mythiques sinon mystiques de l'Occident. Catoblépas, animal évoqué par Pline, est décrit par Flaubert dans « la Tentation de Saint Antoine » : « Buffle noir, avec une tête de porc tombant jusqu'à terre, et rattachée à ses épaules par un cou mince, long et flasque comme un boyau vidé. »
Ce Catoblépas, ici, est un fils. Un enfant né jumeau d'une fille. Vingt ans auparavant. Fils d'Alice (Annick Bergeron), arraché à sa mère parce qu'il est monstrueux, élevé par la religieuse (Ginette Morin). Un enfant poète des sons. Si l'on comprend bien. Ces deux femmes se croisent. Sur un chemin suspendu. Un pont qui ne vient de nulle part et ne mène nulle part. Elles surgissent ensemble, ces deux femmes, ces deux actrices. Elles ont déjà entamé leur dialogue, elles le poursuivront peut-être. Qui sait ? On comprend peu à peu. On n'est pas certain de tout cerner. On est du côté de l'indicible. La matière, ici, c'est la langue. Tout concourt à la mettre en valeur. La scénographie élégante - espace bi-frontal, une passerelle de bois au milieu, de Claude Goyette. Les costumes, austères pour la religieuse, de vieille petite fille paumée pour Alice. Les lumières, sobres, de Stéphane Jolicoeur, alliées à ce que l'on nomme ici, trame sonore de John Rea.
Tout se joue dans l'échange, la chorégraphie spirituelle, fascinante, mise en oeuvre par Denis Marleau et l'interprétation subtile des deux comédiennes, précises, sourdement lyriques comme l'exige l'écriture de Soucy. Un très beau moment. Rare, comme une lumière ténébreuse, une sombre clarté qui tomberait des étoiles qui palpite selon les timbres moirés des deux interprètes, musicalement accordées.
Théâtre de la Colline, petite salle, à 21 h du mercredi au samedi, à 19 h le mardi, à 16 h le dimanche. Durée : 1 h 20 sans entracte (01.44.62.52.52).
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