LE TEMPS DE LA MEDECINE
Pourquoi les chatouilles font-elles rire ? Si, jusqu'ici, aucune réponse définitive n'a pu être apportée à cette question, de nombreuses hypothèses ont été formulées. S'agit-il d'un simple réflexe ou d'un phénomène beaucoup plus complexe faisant intervenir des relations interpersonnelles ? La réponse pourrait être à mi-chemin entre ces deux théories.
Bien que la question des chatouilles puisse paraître triviale, de nombreux et très sérieux scientifiques se sont penchés sur le problème depuis l'Antiquité. Parmi les travaux les plus récents portant sur la réponse aux chatouilles, ceux de Sarah Blakemore et de ses collègues de l'Institut de neurologie de Londres ont permis de mettre en évidence les structures cérébrales impliquées dans ce curieux phénomène.
Un robot chatouilleur
Ces chercheurs ont construit un « robot chatouilleur » et l'ont utilisé au cours de trois expériences durant lesquelles l'activité cérébrale des volontaires chatouillés était suivie par IRM. Pendant la première expérience, le robot était actionné par un tiers : les volontaires ressentaient le chatouillement de la machine et riaient en réponse. Au cours d'une deuxième expérience, les volontaires commandaient eux-mêmes le robot. Dans ce cas, l'activation du robot ne provoquait chez eux aucune réaction particulière. Pour la troisième expérience, le robot a été configuré de manière à ne chatouiller que 200 millisecondes après qu'il eut été actionné. Les volontaires ont alors pu se chatouiller eux-mêmes, par l'intermédiaire de la machine.
Grâce au deux premières expériences et à l'IRM, les chercheurs ont pu mettre en évidence la région du système nerveux central qui nous empêche de nous chatouiller nous-mêmes : il s'agit du cervelet. Cette structure reçoit à la fois des influx sensoriels de l'ensemble du corps via la moelle épinière et des influx moteurs arrivant des aires corticales supérieures. Un de ses rôles consiste à s'assurer que la réponse motrice du cerveau à un stimulus extérieur est adéquate. Dans le cas d'une chatouille autoproduite, le cervelet va censurer la réponse corticale : la chatouille n'engendrera donc aucune réaction. C'est par ce même mécanisme de censure que notre cerveau filtre certaines informations inutiles telles que des sensations ou des bruits produits par notre propre organisme.
Lors de la troisième expérience, les volontaires ont ressenti les chatouilles, bien qu'ils en soient à l'origine, car le décalage entre leur action et la réponse du robot a permis de tromper le cervelet.
L'effet de surprise
Mais la réponse aux chatouilles est plus compliquée qu'un simple réflexe géré par notre système nerveux en fonction de la provenance du stimulus. D'autres facteurs sont en effet susceptibles de modifier nos réactions à cette sensation particulière.
La prédictibilité est un de ces facteurs : la sensation ressentie est en effet généralement plus intense lorsque nous sommes chatouillés par surprise. Par ailleurs, Robert Provine (université du Maryland) insiste sur le fait qu'il existe une constante sociale dans la réponse aux chatouilles : si votre médecin passe sa spatule sous votre voûte plantaire, vous ne rirez probablement pas. En revanche, si le même stimulus est appliqué par un proche, il est possible que vous vous mettiez à hurler de rire en le suppliant d'arrêter.
Il semble également qu'il existe un élément de conditionnement pavlovien dans la réponse aux chatouilles : certaines personnes réagissent et affirment ressentir un chatouillement dès qu'on fait mine de les chatouiller, avant même qu'on les ait touchées.
La réponse aux chatouilles résulterait, entre autres, d'une combinaison de la préconception mentale de la sensation et de la stimulation tactile elle-même.
S.J. Blakemore et coll., « Nature Neurosciences », 1998, vol. 1, pp. 635-640. R.R. Provine, « Laughter : A Scientific Investigation », 2000, Ed. Faber and Faber (UK).
Mais à quoi ça sert ?
L'origine évolutive des chatouilles est très discutée. Pour certains, les chatouilles permettraient d'établir un lien positif entre les parents et leur bébé : en réponse à une chatouille, l'enfant sourit et le parent sourit à son tour. Pour d'autres, ce phénomène jouerait un rôle dans la défense de notre organisme en l'alertant lorsqu'un objet étranger et potentiellement dangereux le touche.
Cette hypothèse explique pourquoi les parties du corps les plus sensibles aux chatouilles sont des régions vulnérables du corps, telles que le ventre, qui couvre de nombreux organes, ou le cou, qui abrite la veine jugulaire. Mais si cette hypothèse est la bonne, pourquoi rire à une attaque ? Pour Christine Harris, de l'université de Californie (San Diego), il est possible que le rire émis dans une telle circonstance signifie « Laisse-moi rire, tu ne me fais pas peur ! ».
C.R. Harris, « American Scientist », 1999, vol. 87, pp. 344-351.
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