NE PAS POUVOIR recevoir ou refuser des visites à sa guise (horaires obligent), ne pas pouvoir fermer la porte de sa chambre ou de sa salle de bains (sécurité oblige), devoir renoncer pour partie à son autonomie et à son intimité (soins obligent) : tel est l'essentiel des entraves à la liberté d'aller et venir que connaissent la plupart des patients, c'est-à-dire les personnes valides hospitalisées pour une courte durée.
Mais l'allongement de la longévité et l'accroissement du nombre de personnes vulnérables (personnes souffrant d'un handicap, d'un déficit neurosensoriel, de troubles cognitifs ou psychiques, personnes âgées fragiles) favorisent désormais les séjours très prolongés, voire définitifs, en établissements sanitaires ou médico-sociaux. Dans des établissements qui ne sont plus seulement des lieux de soins, mais également des lieux de vie, la liberté d'aller et venir prend une tout autre importance. Or l'enquête HID consacrée aux personnes vivant en établissements avec hébergement* a révélé que 120 000 personnes n'avaient pas le droit de sortir ou les moyens d'exercer leur liberté de sortir et que 100 000 ne sortaient en aucun cas. Interdiction de sortir, impossibilité liée à des difficultés motrices ou à l'absence de toute aide humaine ? L'enquête n'a pas permis de le préciser.
Interdire la contention systématique.
Dans ce contexte sensible, la Fédération hospitalière de France a organisé au ministère une conférence de consensus sur « la liberté d'aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et l'obligation de soins et de sécurité » (« le Quotidien » du 3 décembre). Le jury, présidé par la philosophe Blandine Kriegel et guidé par des « valeurs de liberté, d'individuation, d'altérité, de sens du dialogue et de confiance dans le contrat », vient de présenter ses recommandations. Elles visent à « l'établissement de protocoles garantissant fermement les libertés et la sécurité des patients dans le cadre des nouvelles contraintes dues à l'allongement de la vie à et à l'accroissement des vulnérabilités ».
En préambule, le jury a tenu à définir ce « droit inaliénable » que constitue la liberté d'aller et venir : « Elle ne doit pas être entendue seulement comme la liberté de déplacement (...) Elle s'interprète de manière extensive et prend appui sur les notions de vie privée et de dignité de la personne. »
Souvent entravée au nom de la sécurité des personnes, la liberté d'aller et venir est souvent restreinte pour des raisons liées à l'organisation des établissements, de l'architecture et de l'urbanisme, ou médicales et comportementales, voire financières. Parmi ses recommandations, le jury préconise de privilégier toujours l'aspect relationnel et humain : « Une intervention humaine et un aménagement architectural sont préférables à un dispositif de surveillance électronique ou à une fermeture automatique des locaux ou encore au recours à des moyens de confinement, voire de contention », précise-t-il. Atteinte à un droit inaliénable, la contrainte doit être évitée dans la mesure du possible et son usage systématique « doit être interdit ».
Bien qu'elles aient une influence sur l'exercice de la liberté d'aller et venir, les difficultés motrices, sensorielles, cognitives ou mentales ne doivent pas conduire à une restriction systématique de cette liberté : un projet de vie construit dès l'admission doit être mis en œuvre et régulièrement actualisé pour maintenir au plus haut niveau possible la capacité de la personne à se déplacer. En outre, tous les établissements sanitaires et médico-sociaux doivent être rendus accessible aux personnes à mobilité réduite ou ayant un déficit sensoriel.
Respecter la vie privée et la dignité.
Le jury souhaite que les établissements prennent toujours en compte « le droit au respect de la vie privée de chaque personne » (la vie collective comme le mode de délivrance des soins ne doivent pas faire obstacle à ce droit). La vie privée reflète l'identité du sujet ; il ne s'agit pas seulement de préserver l'état de la personne, mais également sa personnalité, son exercice professionnel, ses habitudes de vie, ses liens sociaux ou familiaux ou encore ses convictions religieuses.
Un espace privatif doit permettre à la personne, le cas échéant, de personnaliser son lieu de séjour (en apportant, par exemple, une part de son mobilier). Les établissements doivent, en outre, considérer comme un principe absolu « la recherche du consentement sous toutes ses formes (écrit, oral, verbalisé ou non) ».
Le jury estime nécessaire que l'usager soit « informé dès son admission de ses droits et de ses devoirs dans la vie quotidienne en établissement, dans le cadre de l'élaboration concertée de son projet de soins et de son projet de vie ». Les règles de fonctionnement et le règlement intérieur (idéalement rédigés à l'issue d'une concertation avec les personnels, les familles, les usagers et le monde associatif) doivent être communiqués à l'usager et affichés, dans des termes accessibles à tous. Pour faciliter l'exercice de la liberté d'aller et venir, les proches (famille, entourage) doivent être mobilisés et responsabilisés ; leur aide doit être systématiquement recherchée.
En conclusion, le jury estime nécessaire de « redéfinir les conditions de préservation de la liberté d'aller et venir », en s'interrogeant sur le sens de l'accompagnement, le travail collégial, la formation et la diversification des professionnels, la souplesse de l'organisation du travail et des règles de vie collective, mais aussi l'ouverture des lieux dans un objectif d'intégration et de participation des personnes à la vie sociale.
Enfin, face à l'absence totale en France, de recherches cliniques sur les personnes vulnérables, le jury estime important qu'un programme concerté de recherches sur ces thèmes soit développé par l'université, l'Inserm, le Cnrs et la Dress (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), avec, notamment, pour priorité l'évaluation des moyens de contention chimiothérapeutique.
* Enquête HID (handicaps, incapacités, dépendances), conduite par l'Insee auprès de 16 900 personnes vivant en établissement avec hébergement, entre octobre 1998 et décembre 2001.
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