« L'expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs. » Après avoir rappelé cette « définition » que l'on doit à Oscar Wilde, un épidémiologiste universitaire américain (Baltimore, Maryland) profite de la rubrique que le « Lancet » consacre aux « leçons des erreurs » pour raconter deux circonstances dans lesquelles il s'est trompé.
La première fois, c'était au début des années quatre-vingt : il a sous-estimé l'ampleur qu'allait prendre l'épidémie de SIDA. « Franck Polk, alors directeur du département Epidémiologie des maladies infectieuses au Johns Hopkins, prédisait que le nouveau syndrome SIDA serait la plus grande épidémie de notre ère, entraînant des millions de morts. C'était à l'époque où ce syndrome avait été rapporté chez les homosexuels masculins et les toxicomanes par voie veineuse, mais où la transmission hétérosexuelle n'avait pas encore été reconnue comme une composante majeure de l'épidémie. Je me suis fortement opposé à Franck, lui expliquant que ses projections n'étaient pas supportées par nos données. Rétrospectivement, je me sens très humble devant sa prescience et gêné par mon manque de prévoyance. Malheureusement, Franck Polk est décédé prématurément mais il a vécu assez longtemps pour que je puisse lui présenter mes excuses. »
La deuxième fois, c'était à Lingam, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il voit une jeune femme en état de choc avec un abdomen « aigu ». Il interroge le mari via un interprète, sur une éventuelle grossesse : la jeune femme aurait eu ses règles récemment. Ce qu'il veut bien croire car, se dit-il, le mari doit savoir de quoi il parle : là-bas, pendant leurs règles, les femmes ne préparent pas la nourriture et n'ont pas de contact avec les hommes. L'abdomen étant le siège d'une contracture, le médecin pense qu'il s'agit d'une péritonite secondaire à une entérite nécrosante, fréquente dans cette communauté, liée à la consommation de porc contaminé. « L'hôpital le plus proche n'était accessible que par les airs et je me suis dit qu'elle serait morte avant l'arrivée de l'avion le lendemain matin. Je fis une laparotomie d'urgence et trouvai un foetus dans une corne rompue d'un utérus bicorne. Elle résista à l'intervention mais mourut le lendemain. Par la suite, j'ai réalisé que les dires du mari sur les récentes "règles" de sa femme correspondaient en fait à un saignement survenu peu de temps avant les douleurs et étaient dues à une grossesse ectopique. J'avais complètement manqué la chronologie des événements. »
« Lancet » du 6 octobre 2001.
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