DEPUIS JANVIER 2004, le dépistage organisé du cancer du sein couvre l'ensemble des 99 départements français. L'égalité d'accès au dépistage est donc théoriquement assurée sur le territoire national. Il reste à évaluer le dispositif pour améliorer son efficacité. A la demande de l'Opeps (Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé), quatre experts* ont donc passé au crible l'organisation du dépistage, afin d'établir un diagnostic assorti de dix propositions.
A quelques semaines de la remise officielle de leur rapport, l'un des auteurs, le Pr Thierry Philip, en a précisé la trame « pour couper court, précise-t-il, aux informations publiées par certains médias et qui dénaturent le sujet ».
Les experts sollicités par l'Opeps se positionnent clairement en faveur du dépistage organisé, « économiquement et médicalement justifié », précise le directeur du CLB. Plus de quatre ans après la métaanalyse publiée par la collaboration Cochrane qui mettait en doute l'efficacité du dépistage du cancer du sein par mammographie, la polémique ne serait donc plus qu'un mauvais souvenir : « Nous avons revu toute la littérature et conclu que là où le dépistage est organisé, la mortalité diminue de 20 à 35 % et est fonction du taux de participation », affirme-t-il.
Une organisation efficace.
Après cette mise au point, les experts se sont penchés sur l'organisation proprement dite, en particulier sur les mesures prises depuis le plan Cancer. « Cette organisation est assez efficace », estime le cancérologue lyonnais. Le dispositif bénéficie, selon lui, de fondations solides qui reposent sur un accord entre la Cnam et les radiologues, assorti d'une rémunération correcte du dépistage. Par conséquent, « tout est en route pour que le dispositif puisse être évalué d'ici 2006 à 2007 ; il ne faut donc surtout rien changer », prévient-il. Les experts notent cependant qu'il serait opportun de donner les moyens nécessaires à quelques registres du cancer, pour qu'ils réalisent des études plus fines en matière d'évaluation des cancers ou de coût par patient. Ils suggèrent aussi l'attribution d'un financement pérenne qui puisse favoriser les conditions d'évaluation annuelle réalisée par l'Institut national de veille sanitaire (InVS) et réduire les délais de publication. La Cnam pourrait aussi prendre part à l'évaluation, ne serait-ce que pour départager ce qui relève actuellement du dépistage organisé et du diagnostic individuel.
C'est à partir de ces observations que les experts devraient formuler leurs dix recommandations. Sans en dévoiler le détail, Thierry Philip évoque déjà la nécessité - ce n'est pas nouveau - d'améliorer la participation des femmes et surtout le taux de fidélisation. « Il faut donc poursuivre la diffusion d'informations auprès des généralistes et des gynécologues pour qu'ils soient des médiateurs efficaces », insiste Thierry Philip, en soulignant la pertinence d'une récente enquête conduite par l'Urml Rhône-Alpes à ce sujet (« le Quotidien » du 11 décembre 2003). Il plaide, personnellement, pour l'utilisation de « mammobiles » dans les régions pauvres en équipement, de manière à faciliter l'accès au dépistage.
Dans une perspective d'anticipation, les experts recommandent de s'interroger sérieusement sur l'évolution de la démographie médicale. Le système français est aujourd'hui performant, le sera-t-il toujours avec moins de médecins ?
Evoluer vers 100 % de dépistage organisé.
Ils insistent sur la nécessaire évolution du parc d'appareils vers le numérique, « mais pas avant 2006 », précise Thierry Philip. Les apports de la biologie moléculaire devront être pris en compte, ne serait-ce que pour obtenir un critère de différenciation des carcinomes canalaires in situ évolutifs et ceux qui ne le sont pas, afin d'éviter les traitements inutiles. Il n'est pas illusoire de penser qu'un jour il existera une carte d'identité génétique pour chaque tumeur : « Le dépistage commencera alors par une prise de sang », prédit le Pr Philip. Il intervient, pour finir, à propos de la coexistence du diagnostic individuel et du dépistage organisé : « C'est une question complexe, car tout le système n'a pas été évalué, mais cela n'a pas de sens de continuer à faire du dépistage individuel. » Et de conclure : « Il faudrait donc évoluer vers 100 % de dépistage organisé du cancer du sein. »
* Pr Thierry Philip, directeur du centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard (CLB) à Lyon, Pr Jean-Pierre Moatti, économiste de la santé à l'institut Paoli-Calmettes à Marseille, Pr Francis Fagnani, P-DG de la société Cemka-Eval et spécialiste de l'évaluation des programmes de santé, Christelle Kasparian, méthodologiste à la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer.
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