LE TRAUMATISME que constitue le handicap moteur et/ou neuropsychologique n'affecte pas seulement le champ médical : il bouleverse également l'équilibre psychologique, familial et social du patient et de son entourage. Les experts rassemblés sous l'égide de l'Anaes (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé) pour formuler des proposition autour de la sortie d'hôpital de l'adulte handicapé sont donc venus des horizons les plus divers. Leurs recommandations seront publiées vers le 16 novembre prochain.
Jacqueline Roger, dont l'époux a été victime d'un accident cérébral qui l'a rendu hémiplégique, n'a été avertie que « un à deux jours avant la sortie » du retour à domicile de son mari. Elle s'est rendue à l'hôpital avec son propre véhicule, car elle ne savait pas avoir droit à un VSL. Elle n'avait pas aménagé son domicile, non seulement par manque de temps mais aussi en l'absence de visite préalable d'un professionnel qui aurait pu la conseiller. Elle n'avait « pas été informée qu'il fallait que je commande des garnitures », ne disposait d' « aucune liste de matériels et produits médicaux à acquérir, aucune consigne concernant les soins particuliers à lui procurer » et n'avait pas non plus « été informée que je pouvais être aidée par une infirmière ». Par la suite, alors qu'elle se débat pour faire liquider la société que gérait son mari, elle doit parallèlement subir une année de procédure pour faire valoir le degré d'invalidité de son mari auprès de l'administration. C'est pendant la même période qu'elle apprend que la kinésithérapeute arrive en retard aux rendez-vous et condamne son mari à attendre seul sur le parking, alors que le VSL est déjà reparti...
Le manque d'information a été souligné par la plupart des experts. Catherine Hénault, orthophoniste, a donné quelques pistes : éviter le jargon technique, accorder une ouverture maximale aux questionnements, laisser une trace écrite pour que la famille puisse s'y reporter et présenter elle-même les choses à son entourage de façon claire.
L'information doit commencer dès le début de l'hospitalisation et être répétée tout au long du séjour car elle n'est pas toujours entendue ; elle doit concerner la maladie (préciser qu'une démence peut donner lieu à des hallucinations par exemple) mais aussi le malade lui-même. Les hospitaliers devront consigner toute information utile aux professionnels de ville : par exemple pour l'orthophoniste, savoir quelles zones du cerveau ont été lésées. « La continuité ville-hôpital est sécurisante pour le patient et la famille », explique l'expert, c'est pourquoi des contacts doivent être pris en ville avant la sortie et les prescriptions doivent être adaptées à la ville... et aux moyens financiers du patient.
Coordonner les soins de ville avec l'hôpital.
De fait, la coordination ville/hôpital et la concertation des professionnels en ville ont mobilisé eux aussi une bonne partie des débats lors de la conférence. L'ensemble des experts constate que le passage de l'hôpital à la ville revient pour le patient à passer d'un milieu ultrasécurisé où tout est décidé et organisé pour lui, à un milieu isolé où la responsabilité retombe entièrement sur le patient et la famille, tandis que les professionnels de santé sont disséminés et cloisonnés. Le Dr Nathalie Nisenbaum, généraliste et membre actif du réseau Arc-en-ciel (Seine-Saint-Denis), propose que l'on applique au handicap les améliorations obtenues dans le cadre des réseaux de soins palliatifs : revaloriser les actes infirmiers en termes de prévention et d'éducation pour éviter la course à l'acte technique, développer les concertations pluridisciplinaires en les rémunérant - seul moyen de permettre aux libéraux d'y consacrer du temps - mettre en place des protocoles de soins enseignés lors de formations pluridisciplinaires rémunérées, organiser la rémunération des professionnels non conventionnés en ville (ergothérapeutes, diététiciennes, de la même façon qu'on le fait pour les psychologues en soins palliatifs), partager des valeurs éthiques à travers les chartes des réseaux.
Le travail en réseau devrait permettre de rétablir la continuité et la cohérence des soins, tout en réconciliant le sanitaire et le social. Selon Carmen Péjoine, de l'Association des paralysés de France (APF), certaines problématiques sont récurrentes chez les patients : l'isolement, la dévalorisation de soi, la désocialisation (pas de travail, problèmes de transport, d'accessibilité), une attitude de dépendance chez les personnes handicapées de naissance, liée à la surprotection dont ils font l'objet. Les réunions de concertation sont donc essentielles et doivent inclure le patient et/ou sa famille. En effet, souligne Catherine Deschamps (APF), « la tendance est toujours chez les professionnels de penser qu'ils sont les "sachant", même si dans le discours ils mettent le patient au centre ». Et de citer à titre d'illustration les expressions telles que « prise en charge » au lieu « d'accompagnement », voire « permission » au lieu de « sortie ». Georges Hirtz, lui-même confronté à l'hospitalisation et au handicap, estime que « l'attention des professionnels est trop lourde à porter ». « Tout le monde veut me voir guéri, me faire rentrer dans une norme », explique-t-il, en précisant ne pas vouloir être « un handicapé », mais « une personne à part entière confrontée à des situations handicapantes ». Il compare la situation de ses pairs à celle des immigrants, qui doivent « faire le deuil de leurs habitudes antérieures et apprendre un nouveau mode de vie ». Pour cela, il privilégie la « Pair Emulation » (Groupes d'assistance mutuelle) qui permet aux patients de profiter de l'expérience des anciens, plutôt que d'être enfermés dans les carcans normatifs souvent proposés par les professionnels.
* Conférence de consensus « Sortie du monde hospitalier et retour à domicile d'une personne adulte handicapée sur les plans moteur et/ou neuropsychologique ».
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