La santé en librairie
On aurait attendu d'un dictionnaire des sciences qu'il eût un « coordinateur » : il a en fait un « maître d'uvre », en la personne de Nicolas Witkowski. Si ce dernier est bien un scientifique (physicien en l'occurrence), s'il est journaliste et éditeur, on compte parmi les auteurs du dictionnaire, plus d'historiens que de scientifiques purs, et un nombre respectable de philosophes et de spécialistes de l'art. Enfin, autre signe témoignant de l'intérêt que les promoteurs de l'ouvrage apportent « à ce qu'il y a autour de la science », des deux participants ajoutés à la liste des auteurs, le premier est bien un scientifique, François Arago, le second n'est autre que George Bernard Shaw.
D'ailleurs, dans son avant-propos aussi bref que bien senti, le maître d'uvre Nicolas Witkowski affirme ses intentions : se situant aux antipodes des manuels scolaires et universitaires, il entend regarder les sciences, « non pas de l'intérieur comme c'est la coutume, mais de l'extérieur, depuis ces lieux où, au contact des autres domaines du savoir et de la culture, elles prennent tout leur sens ».
Les dites sciences prendront d'autant plus de sens pour la masse des lecteurs que les auteurs ont renoncé au jargon de leurs disciplines au profit de la langue de tous les jours. Ainsi, point n'est besoin d'être chimiste pour comprendre les subtilités d'une liaison chimique, physicien pour saisir les questions en suspens dans les neutrinos, ou biologiste pour apprécier l'élégance du code génétique, les mots et le style des articles permettant un accès direct à de telles notions.
Dali et l'ADN
Mais il ne s'agit pas là d'une traduction de vulgarisateur, partant du cur d'une discipline scientifique pour la transmettre au non-spécialiste. C'est bien le regard « extérieur » à la discipline en question qui mène une enquête dont le compte rendu est alors logiquement rédigé en langue commune. Parlant d'ADN, force est de constater d'emblée qu' « aucune molécule n'a aussi vite atteint la célébrité » et rien n'interdit de rappeler avec quelle délectation Salvador Dali faisait « rouler les "r" » de l'acide désoxyribonucléique. Et il apparaît tout naturel de dérouler, parallèlement à la double hélice et à son enchaînement de bases et de gènes, la liste des grands scientifiques qui ont participé à leur découverte et l'ampleur des uvres d' « ADN-fiction » qu'ils ont suscités.
Il faut d'ailleurs noter que les mots appartenant en propre à une discipline scientifique, qui sont bien loin de représenter une majorité, semblent avoir été choisis non tant en fonction de leur place au sein de la discipline en question, mais bien plutôt de leur signification historique, de leur situation au confluent de plusieurs sciences ou de leur retentissement culturel. La théorie des nuds, par exemple, ramène à la civilisation celte, aux mosaïques arabes ou à la marine à voile, appartient désormais aux mathématiques et présente de « nombreux points de contact » avec la physique théorique, la biologie et la zoologie. Le clacanthe est certes un petit animal étrange, passionnant pour les zoologues et les biologistes, mais aussi pour les collectionneurs, les curieux, les fabricants d'élixirs de longue vie.
Homéopathie et pataphysique
Il était logique également d'inclure dans un tel dictionnaire des disciplines qui n'ont pas forcément - ou plus forcément - rang de science en Occident. L'alchimie trouve d'ardents réhabilitateurs, l'homéopathie se voit agrémentée d'une « agréable odeur de soufre » qui faciliterait plutôt son intégration, et la pataphysique, « au-delà de son burlesque provocateur », apparaît comme « un monument du stoïcisme contemporain ».
L'humour étant manifestement ingrédient constitutif de toute culture, donc de ce dictionnaire, on en retrouve à bonne dose, non seulement dans le choix de certains mots, mais aussi dans certaines définitions : ainsi le « patient » d'aujourd'hui, censé ne plus souffrir, devient « celui qui se résigne à attendre, et c'est peut-être pour honorer ce statut que nombre de médecins organisent délibérément leurs retards lors des consultations ».
Tout comme les mots scientifiques ne sont pas seuls admis dans ce dictionnaire, les savants d'hier ou d'aujourd'hui ne sont pas les seuls humains qui participent à la fête : à côté de Planck ou de Darwin, de Hildegard von Bingen ou de Tsiolkovski, on trouve Louis Jouvet, grand admirateur des machinistes de théâtre, Cosinus, dont la contribution à l'image populaire du savant distrait ne saurait être oubliée, Edgar Poe, habile mélangeur de science réelle et de fiction, ou Malevitch, peintre russe, mais aussi « révolutionnaire en art et en politique, pédagogue, penseur et essayiste ». De même, l'art et la science se confondent dans des images telles que le cours d'anatomie de Rembrandt ou un cristal d'ADN, les « Plans verticaux » de Kupka, plus ou moins inspirés par les sciences de son époque, ou le dessin de Kipling pour l'histoire baignée de lamarckisme de l'enfant d'éléphant.
Au fond, peut-être la liste des mots commençant par z dit-elle, aussi bien que tout autre commentaire, l'esprit de ce dictionnaire : Zadig, zénith, Zénon d'Elée, zéro, zéro absolu, Zola, zoo, Zoroastre.
« Dictionnaire culturel des sciences », maître d'uvre Nicolas Witkowski, éditions du Regard, diffusion Seuil, 500 pages, 280 illustrations, 490 F (74,7 euros).
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