LES LIPODYSTROPHIES sont définies par la diminution ou l'absence de tissu adipeux sous-cutané. Cette lipoatrophie est parfois associée à une accumulation de dépôts adipeux dans d'autres localisations. Elle est généralisée ou partielle, et est recherchée cliniquement en pinçant la peau, afin de révéler l'absence de pannicule adipeux. La mesure de l'épaisseur du tissu adipeux peut être utile et se fait grâce à un compas de Harpenden. La plupart du temps, la lipoatrophie est bien visible cliniquement : l'absence de boules de Bichat au niveau du visage donne un aspect creusé caractéristique, les fesses sont plates, les articulations des membres saillantes et il existe une visibilité anormale des veines et des masses musculaires.
Dans les formes partielles de lipodystrophie, l'hypertrophie du tissu adipeux associée à la lipoatrophie se retrouve plus spécifiquement dans certaines localisations : une accumulation à la face postérieure du cou et du thorax (bosse de bison), le comblement des creux sus-claviculaires et le visage arrondi peuvent évoquer un syndrome de Cushing. De plus, dans les lipodystrophies partielles, le tissu adipeux viscéral, intra-abdominal, est généralement préservé, voire même hypertrophique. Des examens d'imagerie sont parfois utiles. Une IRM en coupe transversale au niveau de la vertèbre L4 permet de comparer l'épaisseur du pannicule sous-cutané et la surface du tissu adipeux viscéral. L'absorptiométrie biphotonique du corps entier ou DEXA (Dual Energy X-ray Absorptiometry), qui utilise le même appareillage que la densitométrie osseuse, permet de quantifier le tissu adipeux en pourcentage, par rapport à la masse corporelle totale, au niveau du corps entier. Des analyses régionales (membres, tronc...) sont possibles.
Un retentissement métabolique important de la lipoatrophie.
L'appauvrissement du tissu adipeux sous-cutané, quelle qu'en soit la cause, entraîne une réorientation du stockage des acides gras vers d'autres tissus, comme le muscle, le foie ou les cellules bêta langerhansiennes du pancréas. Cette accumulation de lipides est à l'origine d'un phénomène dit de « lipotoxicité », perturbant la signalisation de l'insuline au niveau de ces tissus et provoquant une insulinorésistance majeure. De plus, les fonctions endocrines du tissu adipeux (sécrétion de leptine, d'adiponectine, par exemple) sont perturbées. L'apparition d'un acanthosis nigricans au niveau des plis de flexion du cou, des aisselles et de l'aine est la traduction clinique de l'insulinorésistance. Biologiquement, il existe une hyperinsulinémie, le plus souvent mesurée à jeun. Une épreuve d'hyperglycémie provoquée par voie orale permet de rechercher une intolérance au glucose évoluant progressivement vers un diabète insulinorésistant et révéle une hyperinsulinémie poststimulative souvent majeure. Chez les femmes, l'insulinorésistance peut être associée à un syndrome des ovaires polykystiques, avec troubles des règles et de la fertilité, et signes d'hyperandrogénie. Des signes cliniques pseudo-acromégaloïdes, probablement liés à l'effet IGF1-like de l'insuline en excès sont aussi décrits.
Les syndromes lipodystrophiques s'associent également à une dyslipidémie, le plus souvent de type IV. L'hypertriglycéridémie est souvent majeure et expose les patients à un risque de pancréatite aiguë mettant en jeu le pronostic vital. Le HDL cholestérol est abaissé. Ces perturbations métaboliques entraînent un risque cardio-vasculaire important et l'athérosclérose est précoce. Une hépatomégalie est fréquemment observée, due à une stéatose hépatique pouvant évoluer vers la cirrhose.
Des formes cliniques et étiologiques variées.
Les lipodystrophies peuvent être généralisées ou partielles, congénitales ou acquises.
Les lipodystrophies congénitales généralisées (CGL) ou BSCL (Berardinelli-Seip Congenital Lipodystrophy) sont des pathologies rares (prévalence : environ 1 cas sur 1 million), dues à des mutations génétiques autosomiques récessives. Deux formes étiologiques, d'expression clinique très proche, expliquent 90 % des cas. Elles sont liées à des mutations du gène AGPAT2 codant l'enzyme 1-acylglycerol-3-phosphate-acétyltransférase, qui intervient dans la voie de synthèse des triglycérides dans le tissu adipeux, ou du gène codant la seipine, identifié par le Dr Jocelyne Magré à Paris (INSERM U680, Saint-Antoine). Les signes cliniques de lipoatrophie généralisée sont reconnus dès la petite enfance, accompagnés d'une hypertrophie musculaire et d'une organomégalie touchant en particulier le foie, la rate et le cœur. Les troubles métaboliques sont précoces et sévères. Les patients atteints de lipodystrophie généralisée acquise, ou syndrome de Lawrence, présentent un tableau clinique proche des formes congénitales, mais dont les signes apparaissent plus tardivement, à l'adolescence ou à l'âge adulte, parfois après un épisode infectieux aigu, ou sont associés à des pathologies auto-immunes. On retrouve le même contexte dans le syndrome de Barraquer-Simons, forme rare de lipodystrophie partielle acquise touchant principalement des femmes jeunes. L'étiologie en est mal connue, une origine auto-immune est évoquée. Il est caractérisé par une lipoatrophie de la partie supérieure du corps et une hypertrophie du tissu adipeux de la partie inférieure. Les troubles métaboliques sont inconstants. Le facteur C3 du complément est souvent diminué. Une glomérulonéphrite membranoproliférative est retrouvée dans un quart des cas.
Les mutations du gène codant le facteur transcriptionnel adipocytaire PPARg, à l'origine d'un syndrome lipodystrophique partiel avec lipoatrophie sous-cutanée au dépens d'une accumulation de graisse périviscérale, montrent, comme dans le cas des mutations de AGPAT2, que la cause de ces syndromes est une dysfonction primitivement adipocytaire. Ici encore, la résistance à l'insuline et la dyslipidémie sont majeures et sont associées à une HTA sévère.
Parmi les lipodystrophies partielles, la forme plus fréquente est associée à l'utilisation des traitements antirétroviraux de l'infection par le VIH. Elle concerne environ 20 à 30 % des patients traités aujourd'hui. A la fois les analogues nucléosidiques de la transcriptase inverse, en particulier la stavudine ou la zidovudine, et les antiprotéases, surtout de première génération, sont impliqués, mais le statut immunovirologique joue également un rôle. La lipoatrophie touche en priorité le visage et les membres et est associée à une accumulation de graisse au niveau de la poitrine et du cou, avec apparition d'une bosse de bison, et à une augmentation du tissu adipeux viscéral. Les troubles métaboliques sont fréquents, associés à un risque cardio-vasculaire élevé.
Lipodystrophies et laminopathies.
Les laminopathies sont un groupe de maladies génétiques très diverses dues à des mutations du gène LMNA codant les lamines de type A, protéines ubiquitaires de l'enveloppe nucléaire des cellules. Parmi les laminopathies, on trouve des maladies aussi dramatiques que des syndromes de vieillissement accéléré comme la progéria, mais aussi des lipodystrophies partielles dont la forme la plus caricaturale est le syndrome de Dunnigan. Bien qu'il s'agisse d'une maladie génétique, autosomale dominante, les symptômes apparaissent progressivement à l'adolescence, avec une perte du tissu adipeux sous-cutané au niveau des membres, du tronc, de la paroi abdominale et des fesses, associée à une accumulation de graisse au niveau du visage et du cou et une hypertrophie musculaire prédominant aux mollets. Des signes de myopathie des ceintures et des troubles du rythme ou de la conduction cardiaques peuvent être observés. Les troubles métaboliques et l'insulinorésistance sont souvent sévères et le risque cardio-vasculaire est élevé. Des mutations différentes du gène LMNA peuvent donner des formes cliniques comportant des signes de lipodystrophie plus discrets, ou encore des formes associées à des signes de vieillissement accéléré comme un grisonnement des cheveux ou des calcifications cardiaques et vasculaires très précoces.
L'anomalie génétique responsable de la progéria, syndrome de vieillissement accéléré particulièrement grave, est due à une mauvaise maturation de la prélamine A, précurseur protéique de la lamine A. De façon intéressante, le groupe du Pr Capeau à l'INSERM U680 (Saint-Antoine, Paris) vient de montrer qu'une accumulation de prélamine A caractérise, d'une part, les cellules de patients atteints de lipodystrophie de Dunnigan ou de formes apparentées et, d'autre part, les cellules traitées in vitro par les antiprotéases du VIH, qui présentent donc une laminopathie acquise. De plus, l'accumulation de prélamine A est associée à des signes de sénescence cellulaire prématurée in vitro. Une équipe américaine a conforté ces résultats en montrant que les antiprotéases du VIH utilisées en clinique inhibaient directement la maturation de la prélamine A.
Les relations entre lamine A, vieillissement et lipodystrophies représentent certainement un domaine de recherche important pour la compréhension physiopathologique de ces maladies.
D'après un entretien avec le Dr Corinne Vigouroux, hôpital Tenon et laboratoire INSERM U680, faculté de médecine Paris.
Bibliographie récente :
- Decaudain A, Vantyghem MC, Guerci B, Hécart AC, Auclair M, Reznik Y, Narbonne H, Ducluzeau PH, Donadille B, Lebbé C, Béréziat V, Capeau J, Lascols O, Vigouroux C. New metabolic phenotypes in laminopathies: LMNA mutations in patients with severe metabolic syndrome. J Clin Endocrinol Metab. 2007, sous presse (on line 21/08/07)
- Caron M, Auclair M, Donadille B, Béréziat V, Guerci B, Laville M, Narbonne H, Bodemer C, Lascols O, Capeau J, Vigouroux C. Human lipodystrophies linked to mutations in A-type lamins and to HIV protease inhibitor therapy are both associated with prelamin A accumulation, oxidative stress and premature cellular senescence. Cell Death Differ. 2007; sous presse (on line 09/07/07)
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