De notre envoyé spécial
Phnom Penh, boulevard Monivong. L'aventure du coeur d'Alain Deloche en est, au Cambodge, à son troisième épisode. Et sans doute, avec la construction de ce moderne Pavillon des enfants, vit-elle une dernière étape, comme un épilogue.
Ici, tout a commencé en 1988, ou plutôt recommencé : « Nous débarquions dans un pays ravagé sur tous les plans et en particulier sur le plan médical et hospitalier, raconte le Pr Alain Deloche, président et fondateur de la Chaîne de l'Espoir (CdE). Le ministère de la Santé nous a confié l'hôpital Calmette, que les Khmers rouges avaient transformé en orphelinat avant de le péter à la hache. Il a fallu tout restaurer. »
Les Français, en particulier Médecins du Monde, n'ont pas ménagé leur peine. Le résultat, c'est un hôpital de référence aux performances aujourd'hui comparables à celle d'un établissement occidental. Un hôpital où, depuis la création, en 1988, de la CdE, Alain Deloche et ses amis venaient opérer dans le cadre de leurs missions régulières, réalisant aussi des interventions à Paris sur des enfants transportés dans des structures françaises.
En 2001, la création du centre cardio-vasculaire de Phnom Penh a permis de franchir une étape décisive dans le combat pour les enfants cardiaques. Des enfants dont le nombre est estimé à 100 000 ; 10 000 d'entre eux nécessiteraient une intervention urgente. En un peu plus d'un an de fonctionnement, le centre, avec sa quarantaine de lits, ses huit lits de réanimation et ses deux blocs, a été littéralement pris d'assaut. 524 opérations à coeur ouvert ont été effectuées ici, dans des conditions tout de suite satisfaisantes (avec 2,9 % de mortalité, un pourcentage comparable à celui enregistré dans les structures européennes).
Le centre jouit d'une position géographique stratégique dans la capitale cambodgienne, sur le célèbre boulevard Monivong, où il jouxte l'hôpital Calmette. Les quatre ailes, construites sur deux niveaux, encadrent un patio lumineux planté de luxuriants palmiers dattiers.
Le tout a coûté quelque 4,6 millions de dollars, budgétisés exclusivement par des bailleurs privés, dont les Laboratoires Servier, le gouvernement cambodgien ayant offert le terrain (« le Quotidien » du 6 novembre 2001).
300 enfants sur la liste d'attente
L'équipe comprend 3 chirurgiens cambodgiens, 6 anesthésistes et une quarantaine d'infirmières. La plupart ont été formés au Vietnam, et parfois, comme les chirurgiens, ils se sont perfectionnés dans un hôpital français.
Le roi Norodom Sihanouk le soulignait à l'occasion de l'inauguration, le centre a vocation d' « opérer gracieusement les enfants victimes de malformations cardiaques, la plupart issues de familles indigentes ». La tâche est immense. Après un an de fonctionnement, et 9 924 consultations, c'est l'engorgement. Trois cents enfants figurent sur les listes d'attente. Pour combattre ce débordement, une extension est très vite devenue indispensable. L'occasion est venue grâce à l'hôpital Calmette, qui a accepté de mettre à disposition de la CdE l'aile est du pavillon des Bonzes, à quelques mètres seulement du centre. Le bâtiment a été maintenu tel quel dans ses structures, mais il a subi une réfection de fond en comble (plomberie, électricité, équipement informatique, équipement médical avec échographe, appareil à ECG, radiographie mobile). Le pavillon des indigents de Calmette est devenu le pavillon des enfants de l'Institut du cur.
Une nouvelle fois, Alain Deloche a mis en pratique ses talents éprouvés de récupérateur, qui lui permettent de recycler le matériel français de réforme en parfait état de fonctionnement, acquis à prix bradé. « Quand nous avons fermé Broussais, Laennec et Boucicault, confie-t-il, avec le matériel de récup' de ces trois CHU, nous avons pu ouvrir deux hôpitaux : Georges-Pompidou (Alain Deloche y dirige le pole cardio-vasculaire, NDLR) et... le centre de Pnomh Penh. »
Dernière acquisition en date, un angiographe, « une BMW payée au prix d'une 2 CV ! , s'exclame-t-il .Pour les consommables, c'est à l'avenant : les matériels sont réemployés un maximum de fois. Nous jouons dans les marges que nous accordent les protocoles. »
Malgré tout, et même si opérer une cardiopathie congénitale coûte quinze fois moins cher ici qu'à Paris, la CdE ne saurait équilibrer le fonctionnement du centre avec les seuls dons. « Nous avons mis au point ce que j'appelle le financement Robin des Bois, explique le Pr Deloche : deux suites dites VIP-VIP, bénéficiant des derniers raffinements hôteliers et infirmiers à l'occidentale, destinées à accueillir une clientèle de patients richissimes à qui nous faisons payer le prix fort : 10 000 dollars l'intervention. Une intervention techniquement semblable à celles dont bénéficient les indigents et qui, pour chaque VIP opéré, va financer des dizaines d'interventions sur des patients sans ressources. »
Au chapitre économique encore, Alain Deloche n'a pas fini d'en découdre avec des détracteurs qui contestent aux cardiopathies le statut de priorité de santé publique, dans un Extrême-Orient où sévissent paludisme, tuberculose et sida. « Pourtant, s'insurge-t-il, le coût des traitements médicamenteux des malformations cardiaques est ruineux et l'acte chirurgical permet de traiter définitivement les patients en s'épargnant des dépenses très élevées sur le long terme. »
Fort de son nouveau Pavillon des indigents, le centre cardio-vasculaire devrait maintenant pouvoir se lancer dans des actions de prévention à grande échelle du rhumatisme articulaire aigu, en partenariat avec le ministère de la Santé. Pour encore trois ou quatre ans, des médecins français vont continuer à se relayer à Phnom Penh aux côtés de leurs confrères du cru, en attendant que le transfert de compétences soit pleinement opérationnel. Quant à l'instigateur de l'aventure, il s'apprête déjà à lancer d'autres chantiers hospitaliers, sur d'autres continents. Contemplant l'uvre réalisée ici, le petit neveu d'Albert Schweitzer, grand stressé devant l'éternel, avoue avoir découvert dans cette aventure de Phnom Penh l'apaisement procuré par le bouddhisme : « Moi qui suis un grand angoissé, j'ai réalisé que mon karma, c'était depuis toujours de bâtir ce centre à Phnom-Penh. C'est ce qui vous explique pourquoi, contre toute logique occidentale, nous sommes parvenus à mener à bien une aussi improbable réalisation. » Se serait-il au passage converti à la sagesse orientale ? Un grand sourire illumine son visage : « Ici, lâche-t-il, je suis passé de l'avoir et du faire caractéristiques de l'Occident judéo-chrétien à l'être et à l'amour enseigné par l'Orient et l'Inde. »
Le pavillon des enfants a été inauguré par quatre moines bouddhistes, sans aucun « officiel », en présence de quelques amis, parmi lesquels le Pr Marc Gentilini, président de la Croix Rouge française et le Pr Bernard Debré. Priorité à l'être.
Recherche cardiologues
Pour ses consultations, le centre cardio-vasculaire de Phnom Penh recrute des cardiologues prêts à rejoindre l'équipe cambodgienne pour des durées de quelques semaines à plusieurs mois.
Contact : la Chaîne de l'Espoir, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, www.chaine-espoir.asso.fr.
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