TOUS LES produits provoquant un état de pharmacodépendance opèrent selon un mécanisme commun, mis en valeur par le prisme de la recherche fondamentale. Le système nerveux central se compose ainsi de deux grands circuits. «Le cerveau constitue un ensemble complexe de circuits neuronaux qui s'organisent en réseaux, pour traiter les entrées sensorielles, les relayer jusqu'au cortex, puis les traduire en sorties comportementales ou psychiques. La grande variété des réponses comportementales nécessite que certains réseaux et, par conséquent, certaines structures cérébrales, soient sélectionnés en fonction de chaque situation vécue par le sujet. Cette sélection est alors réalisée par un autre ensemble de neurones, modulateurs, superposés au premier circuit», explique Jean-Pol Tassin, neurobiologiste et directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Si le premier, dit « circuit de base », permet de percevoir, de traiter et de modifier l'information, il existe parallèlement trois grands modulateurs – noradrénaline, sérotonine et dopamine – qui, en fonction des situations, vont décider des structures neuronales, en réponse au stimuli. «Chaque fois qu'on utilise un produit psychotrope, on intervient aussi bien sur le circuit de base que sur les circuits de modulation. Un certain nombre de psychotropes vont ainsi intervenir sur ces modulateurs. Les antidépresseurs vont, par exemple, modifier la transmission de la noradrénaline et la sérotonine.» Quand les drogues interviennent, c'est au niveau de ces systèmes de modulation que va se créer le déséquilibre entraînant la pharmacodépendance. Noradrénaline, sérotonine et dopamine sont trois « piliers » qui se régulent mutuellement. L'action des drogues dissocie cet engrenage et chaque système de modulation va devenir autonome. Si l'un est activé, les autres vont le ralentir et être activés également.
Circuit de la récompense.
Molécule du plaisir, la dopamine se révèle déterminante dans les mécanismes de la dépendance. Qu'il s'agisse d'amphétamine, de cocaïne, de morphine, de cannabis, de nicotine ou d'alcool, tous les produits déclenchant une dépendance chez l'homme augmentent la libération de dopamine dans une structure sous-corticale du cerveau, le « noyau accumbens ». L'action exacerbée de la dopamine modifie alors le fonctionnement d'un ensemble neuronal particulier, le « circuit de la récompense ». «Ce circuit relaie toutes les informations externes et internes de l'organisme, et permet au sujet de reconnaître, par l'intermédiaire de perceptions extérieures, l'existence de satisfactions potentielles de toutes sortes –nourriture, chaleur, plaisir sexuel, drogue…» Ce circuit de la récompense ressemble à un baromètre qui indique à l'individu l'état physique et psychique dans lequel il se trouve ou va se trouver. «Si le circuit de la récompense est activé, un sentiment de bien-être prend forcément le dessus. Au moment où la drogue libère la dopamine, ce sentiment se fait ressentir, quel que soit l'environnement, jusqu'à ce que l'effet du produit disparaisse. La dépendance correspond chez l'homme à un besoin irrépressible de reprendre sa drogue malgré toutes les conséquences négatives et connues que cette consommation entraîne.»
Si la noradrénaline intervient sur la perception extérieure, la sérotonine a tendance à protéger le système nerveux central des événements extérieurs. « En situation de sevrage, un toxicomane se retrouve avec un système modulatoire découplé, engendrant d'abord une hyperactivité, puis une hypersensibilité vis-à-vis de l'environnement. Chaque événement extérieur, qui normalement devrait être traité assez facilement, peut devenir alors un événement important, source de profond malaise.»
Longueur du découplage.
Traiter ce problème, c'est finalement aboutir à des solutions qui permettraient de recoupler les modulateurs, pour qu'ils se contrôlent de nouveau mutuellement. Les expériences sur l'animal ont montré qu'à faible niveau d'intoxication, quelques jours de prise de produit entraînent un découplage. Il faudra alors plusieurs semaines, voire plusieurs mois ou, dans certains cas, plusieurs années, pour que le recouplage initial revienne à son état normal. « A l'heure actuelle, on constate que ce découplage a tendance à se maintenir pendant des périodes extrêmement longues, ce qui permet de mieux comprendre la situation de pharmacodépendance pouvant exister chez le toxicomane au sens large. L'enjeu de nos recherches, c'est de déterminer s'il est possible sur le plan thérapeutique de recoupler ces systèmes découplés pharmacologiquement.» Pour Jean-Pol Tassin, le médecin généraliste occupe une place clé dans le devenir de la recherche sur les addictions. «On a intérêt à ce que les généralistes soient en contact avec les fondamentalistes. Nos résultats, nos expériences dépendent de ce que l'on entend des cliniciens. Un médecin généraliste qui connaît bien la toxicomanie devient beaucoup plus efficace, y compris dans l'idée que le toxicomane se fait de son médecin. Un toxicomane est en quelque sorte un “super chimiste” qui connaît extrêmement bien l'effet des produits. Si, lors de la consultation, on peut lui apprendre quelque chose, on va alors avoir un ascendant sur le patient qui peut se révéler extrêmement positif.
« Comprendre et traiter les addictions », session organisée par l'Inserm, en partenariat avec l'Inpes.
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