Un dérapage, une clarification

Publié le 23/05/2002
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Ballon d'essai, dérapage isolé, sincérité crue ? Serge Lepeltier, nouveau président du RPR (il remplace Michèle Alliot-Marie, devenue ministre de la Défense), a provoqué un beau tollé quand il a proposé de maintenir le candidat du RPR contre la gauche dans les circonscriptions où le Front national peut rester présent au second tour.

M. Lepeltier a déjà dirigé le RPR (en 2001). Il connaît donc bien une fonction où il faut marcher sur des œufs. Aussi bien les dirigeants de la gauche l'ont-ils pris très au sérieux et ont-ils accueilli ses propos par une volée de bois vert, heureux qu'ils étaient de présenter une fois de plus Jacques Chirac comme un sinistre personnage. Ils ont crié, bien sûr, à la trahison des principes renforcés par le vote du second tour de la présidentielle, où tous les démocrates de France ont voté Chirac pour faire barrage à Le Pen.

Un spécialiste de la bourde

Mais M. Lepeltier est aussi un homme qui ne contrôle pas toujours les propos qu'il prononce. N'a-t-il pas déclaré, en avril 2001, que Jospin se balladurisait, ce qui a provoqué l'ire d'Edouard Balladur ? Sur la base d'une évaluation qui permet de considérer M. Lepeltier comme un spécialiste de la bourde, on peut juger l'affaire comme une tempête dans un verre d'eau. Sur la base d'une analyse fort bien argumentée et dont nous-mêmes, pas plus tard qu'hier, disions qu'elle est celle du président, ce qu'il a dit était la vérité sortie toute nue du puits : la droite classique a moins besoin de combattre le Front que de battre la gauche, parce que la pire des hypothèses, c'est une nouvelle cohabitation.
Il y a eu en vingt-quatre heures une formidable bataille d'artillerie. La gauche a d'abord fait tonner ses canons sans désemparer. Des Verts aux communistes en passant par les socialistes, ce ne fut qu'un déluge de feu : « Chirac sans foi ni loi », (Noël Mamère), « rupture du contrat », (Vincent Peillon, porte-parole du PS) « profond scandale », (Jean-Marc Ayrault, député-maire PS de Nantes), « inconcevable », (Patrice Cohen-Séat, PC), sans omettre un sévère jugement de François Bayrou (UDF), le tir de barrage risquait de défigurer le portrait démocratique de la droite.

Désavoué par les siens

M. Lepeltier a-t-il parlé sans y être autorisé ou a-t-il été envoyé en mission-suicide ? Le fait est qu'il a été aussitôt sacrifié sur l'autel de la stratégie politique des Chiraquiens. D'Alain Juppé à Jean-Louis Debré, ils ont tous désavoué l'homme qui est censé les représenter tous en tirant à leur tour tous les obus dont ils disposaient ; et M. Lepeltier a été contraint d'aller à Canossa, la télévision en l'occurrence, pour expliquer dans un langage emberlificoté que ce qu'il avait dit ne signifiait pas ce qu'on avait compris et que ce qu'il pensait n'était pas tout à fait ce qu'il avait dit. Les démocrates de France peuvent respirer et, s'ils le souhaitent, voter à droite sans répugnance.
D'un mal sort un bien, comme on dit dans le langage populaire. Car la campagne avait furieusement besoin de cette clarification. On a beau dire, il demeure que, d'un point de vue strictement objectif, et serein jusqu'à en être cynique, M. Chirac, incontestablement, a besoin, comme le poumon d'oxygène, d'une majorité parlementaire.
Au lendemain d'un triomphe dont il sait bien qu'il le doit aussi à ses adversaires, il n'a, peut-être, jamais eu de cap plus difficile à franchir. Une victoire de la gauche aux législatives le placerait dans une situation intenable. Il perdrait toute crédibilité personnelle s'il devait cohabiter une fois encore, alors que la gauche n'a pas vraiment ce problème, puisqu'elle ne peut sa battre que pour la cohabitation. Mais lui, Chirac, devrait démissionner ou, tout au moins, songer dès le 16 juin, à une dissolution en 2003. Imaginez un peu un président dont le seul espoir serait que les choses aillent si mal en France qu'elles l'autorisent à provoquer des élections anticipées. Cette perspective est un cauchemar. Elle ferait de M. Chirac l'ennemi objectif du gouvernement, elle l'inciterait à saper son travail et à contribuer au déclin national.
Plutôt que de sombrer dans cet abîme, ou de renoncer à une magistrature suprême qui lui a été confiée par 82 % des Français, M. Chirac, s'il pouvait se permettre d'agir en bonne logique, devrait préférer que le Front national gagnât quelques circonscriptions. Entre deux maux...

Le pire n'est pas sûr

On n'en est pas là. D'abord, Alain Juppé, grand maître d'œuvre de la campagne, a réfuté la thèse en des termes catégoriques. Ensuite, les sondages tendent à indiquer que la droite classique aura la majorité à l'Assemblée et donc que, Front national ou pas, M. Chirac choisira la voie étroite, celle qui conduit à la victoire sans passer par M. Le Pen.
Cependant, l'épisode n'est pas insignifiant. Il a contribué à renforcer la stature « morale » de la gauche, laquelle stature est souvent l'apanage des mouvements en grande difficulté, qui peuvent se l'offrir à peu de frais ; il a écarté le risque d'une alliance contre nature qui représentait tout en même temps une irrésistible tentation ; il a réinjecté un peu de capital démocratique dans un moment de l'histoire où ce capital a paru abondant au lendemain du 6 mai, mais a été vite dépensé.
D'après vous, pourquoi l'UMP (Union pour la majorité présidentielle) a été si prompte à récuser l'idée de M. Lepeltier ? Parce que le peuple français, qui a manifesté pendant deux semaines et réélu M. Chirac, a envoyé aux politiques un message d'une extrême simplicité, d'une clarté aveuglante et plus sonore qu'un Boeing au décollage : on en a marre de vos magouilles. Message reçu. Sans s'en douter, M. Lepeltier a attiré sur son corps toutes les flèches des démocrates. Cible énorme que le plus maladroit des archers aurait atteinte. S'il a parlé en toute candeur, on le plaint. S'il a servi d'éclaireur dans une campagne minée, il perdra, une fois encore, les fonctions qu'on lui a négligemment attribuées.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7131