IL Y EN A qui sont grandes, minces, blondes ou brunes, noires ou blanches et d'autres qui sont grandes, minces, blondes ou brunes, noires ou blanches et qui se déplacent en fauteuil. La beauté ne serait-elle visible qu'une fois portée par des jambes en mouvement ou pourrait-elle être plantée sur des cuisses croisées dans une chaise roulante ? La question peut paraître grotesque et pourtant... Qui ne s'est jamais surpris à ne pas savoir comment regarder une personne en fauteuil croisée dans la rue ? Qui osera affirmer qu'il porte le même regard sur une femme dans un fauteuil que sur une femme en train de marcher ?
L'effet fauteuil.
Souad Yamani est la présidente de l'association En roue libre*, née du succès du premier défilé de mode qu'elle avait organisé dans le cadre du salon Autonomic de Paris (OhMyGod!, « le Quotidien » du 13 juin 2002). Il y a dix ans, elle est devenue paraplégique à la suite d'un accident de voiture. Elle se souvient qu'aux tout débuts de sa nouvelle « condition », elle a dû subir « l'effet fauteuil ». « Un jour, je suis entrée dans un magasin de vêtements. La vendeuse s'est adressée à la personne qui m'accompagnait et non pas à moi pour savoir ce que je recherchais, comme si j'avais été une gamine, comme si je n'avais pas pu répondre moi-même. » Que l'on porte un regard différent sur une personne différente est une chose. Que cette différence devienne hiérarchisée en est une autre.
Pour marquer le lancement en mai dernier d'une sonde urinaire autolubrifiée pour femmes handicapées, le Laboratoire Coloplast a fait appel à En roue libre pour monter un défilé sur le même modèle que le précédent. « Nous cherchions quelque chose de festif (en plus des résultats de deux études cliniques) pour ponctuer notre manifestation, explique Hélène De Labrousse, chef de produit Gamme sondes chez Coloplast. L'agence de communication nous a soufflé l'idée d'un défilé de mode et moi, je me suis rappelé celui de Souad. J'ose espérer que cet événement va créer la différence. » L'usage de la sonde urinaire est une révolution pour le bien-être et l'autonomie des femmes handicapées. Ces mêmes femmes qui aiment s'habiller et s'amuser sur la scène d'un défilé. « La qualité de vie fait partie des missions de notre laboratoire, des valeurs que nous souhaitons partager avec nos clients, avec nos partenaires », précise Hélène De Labrousse.
Idem et différent.
Parmi les modèles valides professionnels, l'idée de défiler aux côtés de mannequins en fauteuil a été accueillie de façon nuancée. Pour Amina, mannequin confirmé, cela ne faisait « aucune différence » et cette particularité n'a pas influencé son choix. Pour la jeune Elodie, mannequin en devenir, cette rencontre fut d'abord un choc. « Le jour des essayages, lorsque j'ai vu arriver une puis deux puis trois filles en fauteuil roulant, j'avoue que j'ai eu un peu peur. Je n'avais jamais côtoyé de si près autant de personnes handicapées. J'ai un peu raconté ma vie, mais je n'ai pas cherché à connaître leur histoire. C'est en les écoutant parler entre elles que j'ai su ce qui leur était arrivé et j'ai compris que, finalement, elles sont comme nous, je veux dire dans leur approche à autrui. J'ai surtout vu qu'elles s'acceptaient ; et alors, c'est devenu simple d'être à leur côté. En rentrant chez moi, j'ai pleuré. J'en avais gros sur le cœur. Et puis j'ai digéré tout ça et je suis arrivée sereine le jour du défilé. C'est dingue comme j'ai l'impression que mon regard a changé. Même si, bien sûr, il y a encore du chemin. »
Mohade, créateur de la ligne streetwear « De la balle », lui-même en fauteuil à la suite d'un accident, prend le parti de l'autodérision et de la provocation. Il lance aux invités : « Je pense qu'il faut vous aider, vous valides, à mieux nous comprendre. Nous ne sommes finalement que votre "prolongement". Ce qui nous est arrivé peut vous arriver demain. » Lorsqu'on lui demande si le défilé a nécessité de longues répétitions, il rétorque : « Ah, mais ce que vous avez vu n'est qu'une parodie ! » C'est faux.
Des créateurs, des créatures (de rêve) qui portent des vêtements (plus ou moins portables), le tout sous les projecteurs et servi sur une musique très fashion : cet OhMyGod! numéro deux fut donc un défilé comme les autres... sans être un défilé comme les autres. « Je n'ai jamais vu ça, soupire Michel Meurice, directeur commercial de Coloplast. J'avoue que j'étais assez sceptique et je suis complètement bluffé. » Plusieurs médecins ont par ailleurs suggéré de diffuser la vidéo du défilé dans des services de rééducation. « Ce serait très porteur d'espoir. »
Pour la créatrice Lan Konogan, qui participait pour la deuxième fois au défilé OhMyGod!, « aucun handicap ne peut voiler l'âme et la personnalité et si je peux contribuer par mon travail à rendre une femme encore plus belle et plus sûre d'elle dans sa vie de tous les jours comme à une occasion exceptionnelle, ma passion me poussera toujours à le faire ».
Sur le podium, ces femmes assises ont, le temps d'un soir, pris un peu de hauteur. Pour une fois, elles étaient plus hautes que les autres, sans pour autant les regarder de haut. Pour une fois, elles n'inspiraient que désir, espièglerie ou quiétude. La futilité serait-elle un canal pour de grands messages ? Laisser une place aux femmes en fauteuil dans le monde de la mode, c'est déjà leur ouvrir une porte sur les coulisses de la société.
* En Roue libre, 5, rue Jean-Bologne, 75016 Paris.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature