Laïcité à l’hôpital

Un décalage flagrant entre parole officielle et vécu de terrain

Publié le 20/03/2015
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Religion et soins, quoi de plus complexe et de plus intime ? C’est pourtant ce que doivent gérer les hôpitaux au quotidien. Si des règles ont été posées et semblent satisfaire l’ensemble des acteurs officiels, sur le terrain, la situation est moins limpide. Jeter un voile pudique sur cette question dont nul ne veut faire un problème ne semble toutefois pas la bonne solution.

Refus de se faire soigner par un homme, refus de soins pour des raisons religieuses, exigences particulières quant aux repas… mais aussi, du côté des soignants, prosélytisme, exigences quant à son emploi du temps etc. Tous ces cas et bien d’autres existent bel et bien selon Isabelle Lévy, formatrice et spécialiste de la religion à l’hôpital. Mais, bien souvent, par peur des représailles, estime-t-elle, ils sont tus quand l’hôpital n’accède pas aux demandes exorbitantes du patient. Et, le plus souvent, les soignants en première ligne sont livrés à eux-mêmes pour gérer les incidents. Une vision corroborée par les témoignages de terrain et qui permet de dire que la question de la laïcité à l’hôpital est un vrai sujet qui devrait mobiliser tout le monde. Le Dr Jean Thévenot, président du Conseil départemental de l’ordre des médecins (CDOM) de Haute-Garonne, gynécologue obstétricien au sein de la clinique Ambroise-Paré de Toulouse, le dit clairement : « Nous n’avons pas de statistiques, mais ces questions se posent de plus en plus. Pas partout ni dans toutes les spécialités mais dans les maternités, les urgences et les services où passent de nombreux patients. En somme, là où doivent être gérées les questions de début de vie et de fin de vie, ces questions existent et peuvent être mal vécues par les soignants s’ils ne sont pas préparés. »

Pourtant, fort de l’absence de signaux forts remontant via les outils de mesure officiels (y compris via l’Observatoire de la laïcité ou le Défenseur des droits), la parole officielle, du côté de la Fédération hospitalière de France (FHF), mais aussi des représentants religieux, se veut rassurante : l’encadrement juridique est suffisant, les cas sont gérés au cas pas cas et la situation est plutôt en voie d’amélioration par rapport au début des années 2000… Bref, circulez, il n’y a rien à voir. Derrière cette parole, le désir de ne pas attiser les brasiers et de crisper la situation est réel. Il ne faudrait cependant pas que cela confine à la politique de l’autruche.

Disparité en fonction des régions

La situation est certes très différente d’une région à l’autre et d’un établissement à l’autre en fonction de la population qu’ils soignent. Certains sont d’ailleurs déjà plus proactifs que d’autres au sujet. Ainsi, même s’il refuse de le transmettre à la presse, l’hôpital Cochin diffuse tous les ans un rappel des consignes et de la conduite à tenir en cas de problème de ce type. D’autre part, des régions ont décidé de travailler sérieusement sur le sujet et de mettre en place des actions préventives. C’est le cas de la région Midi-Pyrénées. Au sein d’un groupe de travail réunissant l’ARS, l’espace éthique régional, le comité départemental de l’ordre des médecins de Haute-Garonne, des soignants hospitaliers issus du public et du privé, des représentants de l’hospitalisation et des usagers des hôpitaux ainsi que des représentants des quatre principaux cultes, une vingtaine de fiches synthétiques sur le sujet ont été préparées et sont en passe d’être diffusées. Avec un rappel des règles de la laïcité et de la conduite à tenir pour chaque type de problèmes. Le sujet mérite donc bien notre attention et nécessite de mettre en place des dispositifs de réponse… sans attendre la hausse de chiffres officiels dont la représentativité de la réalité du terrain est sujette à caution.

Lucien Sague

Source : Décision Santé: 300