14-17 juin - Lyon
CIBLE PRIVILEGIEE des annonceurs, l’enfant est soumis dès son plus jeune âge à une pression publicitaire particulièrement virulente, surtout lorsqu’il regarde la télévision. La part de la publicité insérée dans les émissions pour la jeunesse est ainsi beaucoup plus forte que celle occupée dans les autres types de programmes. Chaque mercredi, ce sont près de 200 spots qui sont diffusés à destination des enfants. Un rapport réalisé en 2004 à la demande de la Direction générale de la santé a observé, sur la base de deux jours par semaine, incluant le mercredi, sur cinq chaînes de télévision (TF1, France 2, France 3, Canal J et M6), 2004 spots publicitaires. Pas moins de 553 ciblaient directement les enfants et parmi eux 70 % portaient sur des produits alimentaires : entre autres, 54 % concernaient les céréales et les produits sucrés (glaces et chocolat), 20 % les produits laitiers (crèmes dessert et yaourts aromatisés) et 15 % les bonbons. «On ne peut nier le caractère informatif que peuvent avoir certaines publicités sur les qualités nutritionnelles d’un produit. Il faut bien admettre cependant que, surtout chez le jeune enfant dont les capacités de l’esprit critique sont forcément limitées, le martelage répété de messages visant la promotion de produits de mauvaise qualité nutritionnelle joue probablement un rôle dans le déséquilibre nutritionnel croissant constaté actuellement chez les enfants, avec une mauvaise composition et une déstructuration des repas, un fractionnement et une anarchie des prises alimentaires», souligne le Dr Patrick Garandeau, pédiatre à l’hôpital d’Enfants de Saint-Denis de la Réunion, qui jusqu’en 2004 était coordinateur du programme régional nutrition santé en Languedoc-Roussillon.
Baby marketing.
Une expérience qui l’a notamment sensibilisé à l’influence de la publicité dans les habitudes alimentaires de l’enfant et des adolescents. «Nous avons à l’origine un goût naturel pour le sucré et le gras. Nous ne sommes pas naturellement portés vers les fruits et les légumes dont la consommation résulte d’un apprentissage. Si l’on émet dans les médias des messages publicitaires qui font dévier de cet apprentissage, on peut craindre que les enfants aient de façon très durable un goût faussé et tourné essentiellement vers les produits gras et sucrés», ajoute le Dr Garandeau.
Si l’enfant n’est naturellement pas acheteur de produits dès son plus jeune âge, il n’en est pas moins un consommateur qu’il faut séduire par tous les moyens, et cela les publicitaires l’ont bien compris. «Dans une population d’enfants de 3 à 11ans, 65% des demandes sont en moyenne satisfaites par les mères. Lorsque celles-ci opposent un refus, dans 16% des cas, elles achètent un produit de substitution.»
Dessins animés et musique.
Pour arriver à leurs fins, les annonceurs ne manquent pas d’idées pour attirer l’attention de leur (très) jeune clientèle : humour, présence de héros de dessins animés, musique attrayante, ambiance féerique dans un message souvent organisé en histoire… Les moyens sont variés. « Un des côtés néfastes de la publicité pour les jeunes, c’est de mettre en exergue quelque chose qui n’est pas vrai. Fréquemment, les publicités qui vantent des aliments de type snacking cachent tout ce qui ne va pas, en disant par exemple qu’un produit essentiellement constitué de graisse et de sucre contient autant de calcium qu’un verre de lait. L’argument du taux de calcium peut être vrai, mais ne doit pas faire oublier le reste. Il y a une espèce de mensonge par omission. Le calcium est une sorte d’alibi santé dont les fabricants se servent beaucoup actuellement.»
Avant d’amorcer un cadre législatif en la matière, longtemps les pouvoirs publics ont laissé aux familles le rôle de médiateur entre l’enfant et les flux de publicités qui l’assaillent. «L’idée d’un encadrement parental vis-à vis de la publicité est un mythe. On vit encore un peu dans notre société latine avec l’illusion que la famille exerce un rôle de garde-fou. L’enfant, lorsqu’il est devant un poste de télévision, reste le plus souvent livré à lui-même. Les Suédois l’ont ainsi très bien compris et ont été très loin dans ce domaine puisqu’ils interdisent la publicité aux heures de programmes dédiés aux enfants.»
Un encadrement perfectible.
Les réglementations concernant la publicité télévisée et les enfants se révèlent très différentes en Europe, d’un pays à l’autre. Un cadre commun existe néanmoins par le biais notamment de la directive « Télévision sans frontières ». En France, le CSA contrôle a posteriori les annonces publicitaires qui sont préalablement contrôlées par le bureau de vérification de la publicité (BVP). Malgré cet encadrement légal, la publicité à destination des enfants demeure toutefois très agressive. Pour aider les familles et leurs enfants face à la publicité, le Dr Garandeau croit en la force des acteurs de la vie et de l’encadrement infantile que sont notamment l’école et le médecin «Si l’on veut agir pour les enfants, il faut d’abord leur montrer comment fonctionne la publicité et la manière dont elle les manipule.»
D’après un entretien avec le Dr Patrick Garandeau, Saint-Denis de la Réunion.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature