DEPUIS UN QUART de siècle, le jeu de rêve, symbolisé par la Loterie nationale – devenue Française des jeux (FDJ) en 1980 –, perd du terrain face aux jeux à sensations, avec résultats instantanés, comme le Rapido, les jeux de grattage ou encore les jeux en ligne. Il s'ensuit des comportements addictifs et problématiques chez 400 000 à 800 000 joueurs, sur quelque 30 millions de personnes qui se livrent au moins une fois par an à un jeu d'argent. Faussement prohibitionniste, avec la FDJ, le PMU et les casinos, rattachés respectivement aux ministères des Finances, de l'Agriculture et de l'Intérieur, la France, sous l'impulsion de l'Union européenne, est aujourd'hui conviée à libéraliser encore plus ces pratiques ludiques, et, dans le même temps, à donner un cadre légal à celles qui font florès sur Internet.
Depuis une dizaine d'années, le centre parisien Marmottan d'aide aux toxicodépendants en tout genre tire la sonnette d'alarme sur les addictions sans drogue. À l'échelle internationale, la ludopathie figure, depuis 1980, dans le « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux » nord-américain (DSM). Le patient, un névrosé qui s'ignore, animé par un désir inconscient de perdre, est souvent un homme de 40-44 ans, marié et père de famille, à la vie conjugale défaillante. Accro à sa propre adrénaline, surendetté, il peut basculer dans la délinquance (25 %).
Une étude de prévalence.
Dès 1993, les opérateurs de jeux tentent d'être juge et partie en lançant SOS-Joueurs (0810.600.115), qui offre un soutien psychologique et juridique aux ludopathes. En réalité, il faut attendre 2006 pour que les pouvoirs publics prennent les choses au sérieux. Cette année-là, ils installent auprès du ministère des Finances, le COJER (Comité consultatif pour l'encadrement des jeux et du jeu responsable). «Et le dispositif est suivi d'effets, puisque le ministère de la Santé diligente une expertise collective INSERM» (ECI), explique au « Quotidien » le Dr Marc Valleur, membre du COJER et du groupe de travail de l'ECI avec 6 autres médecins sur un total de 12 experts. Le COJER, courroie de transmission éthique de la FDJ, assainit quelque peu les usages. Un message de prévention apparaît sur les grilles de jeu ( «Restez maître du jeu, fixez vos limites»), une brochure (« Quel joueur êtes-vous ? ») s'invite dans les 40 000 points de vente de la FDJ et un gel de l'extension du Rapido s'impose. La mise maximale de ce dernier passe alors de 4 000 à 1 000 euros et le nombre de tirages auquel donne droit un bulletin chute de 100 à 50.
Avec l'expertise collective de l'INSERM, rendue publique le 22 juillet, le phénomène du jeu pathologique (entraînant une dépendance) et excessif (suscitant des dysfonctionnements) devient un problème de santé publique relevant de l'État. «Il faut mettre en oeuvre une information objective sur les risques encourus, une prévention et des soins appropriés», souligne Marc Valleur. L'ampleur des dégâts reste à évaluer, certes, et c'est pourquoi l'INSERM souhaite une étude de prévalence. «Il faut savoir que la dépendance sans drogue se révèle plus variable et labile que l'héroïnomanie, par exemple. Le ludopathe peut se rétablir immédiatement et rechuter tout aussi rapidement, à l'instar de ce qui se produit avec les excitants.» Trois profils sont à distinguer : les 20-35 ans à la recherche de sensations fortes, qualifiés de joueurs compulsifs ; les parieurs par habitude (turfistes), principalement des hommes, qui se laissent dépasser et dérapent ; et les ludopathes par automédication, majoritairement des femmes et des personnes vulnérables ou en situation de souffrance.
Quel que soit le jeu, il est recommandé «la modération», insiste le chef de service de Marmottan. À cette mise en garde claire s'ajoute une prévention ciblée en direction de sous-populations fragilisées (sujets âgés, Rmistes, sans emploi, etc.). Parallèlement, il faudrait que les personnels des jeux bénéficient d'un enseignement afin de repérer «le moment où le joueur quitte le plaisir pour la dépendance». En ce qui concerne Internet, l'opérateur devrait être obligé de suivre les dépenses excessives de manière à mettre hors jeu les personnes en dérive. Au chapitre de la prise en charge, il est souhaité que les équipes des futurs centres de soins, d'accueil et de prévention en addictologie disposent d'une formation, comme s'emploient à le faire Marmottan et le CHU de Nantes (stages de trois jours). Enfin, il conviendrait de mettre en place une autorité interministérielle unique de régulation des jeux, sorte de super COJER, intégrant le PMU, la FDJ, les machines à sous des casinos et les jeux sur le Net. Concomitamment, un observatoire des jeux de hasard et d'argent impulserait la recherche et fournirait des tableaux de bord de surveillance des comportements ludopathes.
La France est le 16e pays d'Europe pour les jeux de hasard et d'argent, avec 145 euros dépensés par habitant chaque année.
Le poids des chiffres
192 casinos, 64 millions d'entrées annuelles, 19 milliards de chiffre d'affaires (CA), dont 90 % provenant des machines à sous.
8 881 relais PMU, 6,8 millions de parieurs, 8 milliards de CA.
40 000 points de vente de la Française des jeux (FDJ), 10 milliards de CA. 5 millions de joueurs au Loto, entre autres.
De 1999 à 2007, les mises engagées ont augmenté de 75 % pour les casinos, 91 % pour le PMU et 77 % pour la FDJ.
Les jeux de hasard et d'argent rapportent 6 milliards d'euros à l'État et font travailler environ 100 000 personnes.
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