LA MINISTRE de la Santé s'est efforcée d'apaiser les esprits la semaine dernière à propos de la refonte du régime des affections de longue durée (ALD), accusé de tous les maux par les experts (« le Quotidien » des 20 novembre, 12 et 13 décembre). Roselyne Bachelot a en effet assuré que toute décision relative aux maladies lourdes et chroniques serait «réfléchie et concertée», après la publication de l'avis de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la liste des pathologies et les critères médicaux d'admission en ALD. Il est vrai que cet avis consultatif de la HAS propose, entre autres, la piste d'une réforme «partielle» qui se traduirait par un net rétrécissement du périmètre des affections de longue durée, au détriment notamment de 500 000 à 600 000 diabétiques (dès lors qu'ils ne sont ni insulinodépendants ni confrontés à des complications), des patients hypertendus ou atteints de maladie coronaire (en l'absence d'épisode aigu).
Or un tel tournant serait bien sûr politiquement délicat. Au printemps 2006, déjà, l'ex-ministre de la Santé, Xavier Bertrand, s'était d'ailleurs empressé d'enterrer une première fois l'idée d'une exclusion de certains diabètes de type II de la liste des ALD – idée que lui soufflaient conjointement la HAS et l'assurance-maladie.
Cette fois, la Haute Autorité privilégie l'hypothèse d'une «réforme d'ensemble» en lieu et place d'aménagements qui ne peuvent que heurter les associations de patients sans parvenir à rendre le régime ALD plus cohérent et viable. Son avis est donc favorable à un traitement séparé des deux objectifs poursuivis jusqu'à présent tant bien que mal par le régime ALD, à savoir : la limitation du coût financier pour les malades ( via l'exonération du ticket modérateur) et le suivi de la qualité de la prise en charge des malades chroniques (nouveaux protocoles de soins depuis la réforme de 2004).
Cette remise à plat du système, grâce à l'instauration d'un bouclier sanitaire, balayerait le fléchage médico-administratif des ALD qui permet aujourd'hui un remboursement maximal par l'assurance-maladie. Le bouclier garantirait alors une prise en charge à 100 % par la Sécu à tous les assurés (ex-bénéficiaire de l'ALD ou non), dès que leurs restes à charge sur les dépenses remboursables dans l'année dépasseraient un certain plafond, lequel pourrait être proportionnel aux revenus.
Un bouclier « percé ».
Le dispositif, suggéré en juin par le haut-commissaire aux Solidarités actives, Martin Hirsch, a été jugé séduisant et faisable à compter de 2010 dans le rapport Briet-Fragonard (« le Quotidien » du 1er octobre).
Cependant, le choix des pouvoirs publics entre le maintien du régime ALD, vaille que vaille, et la création du bouclier sanitaire pourrait vite devenir cornélien. Le débat souhaité par la ministre ne fait que commencer, mais des voix s'élèvent en effet du côté des régimes complémentaires pour expliquer que le bouclier sanitaire ne sera pas la panacée.
Il «ne résout rien sur le long terme pour maîtriser les restes à charge», estime Jean-Louis Faure, délégué général du CTIP (Comité technique des institutions de prévoyance, qui représentent environ 17 % du marché des complémentaires santé). Le bouclier présente «deux points difficiles» aux yeux de Daniel Lenoir, directeur de la Mutualité française (dont les mutuelles constituent 59 % des complémentaires). D'une part, poursuit-il, le bouclier est d'emblée «percé», puisqu'il «n'intègre pas les dépassements d'honoraires» (en dehors du champ des dépenses remboursables). D'autre part, «il faut éviter qu'un bouclier sanitaire de cette nature ne conduise à une démutualisation, ce qui serait paradoxal, quand on sait que la complémentaire est indispensable à l'accès aux soins», plaide l'ancien directeur de la Caisse nationale d'assurance-maladie. «L'assurance est liée à un certain aléa, renchérit Jean-Louis Faure. Si vous supprimez l'aléa, les gens touchant de forts revenus penseront qu'ils n'ont plus besoin d'une complémentaire et la mutualisation ne concernera plus que les gens à faibles revenus». A la FFSA (Fédération française des sociétés d'assurance), Alain Rouché ne cache pas non plus que les compagnies d'assurances (occupant 24 % du marché des complémentaires) prennent le bouclier «avec réserve». «Tel quel, le bouclier sanitaire vient percuter de manière frontale l'assurance complémentaire, admet le directeur santé de la FFSA. Un certain nombre de personnes peuvent avoir moins intérêt à souscrire une couverture complémentaire, sauf si le montant du bouclier est très élevé. Il n'est pas évident que ce soit la bonne solution. C'est pourquoi nous préférons l'aborder sous un angle plus large.»
A cet égard, la Mutualité, la FFSA et le CTIP attendent de pied ferme le débat promis par le président Sarkozy sur le financement de la santé en général et la répartition des charges entre les régimes d'assurance-maladie obligatoires et les complémentaires. A condition, nuance Daniel Lenoir, que les différents chantiers en cours (organisation des soins, hôpital, financement…) ne soient pas saucissonnés. «A défaut d'une approche globale, il faudra une approche coordonnée», prévient le directeur de la Mutualité.
Au-delà de la question financière du bouclier sanitaire, les complémentaires défendent la valeur ajoutée qu'elles peuvent apporter à la prise en charge de leurs assurés. Les Mutuelles ont déjà entrepris une démarche d'accompagnement de leurs adhérents dans le système de soins en fonction de leur pathologie chronique (programme « Priorité santé mutualiste »).
Au CISS (collectif de 25 associations de patients et d'usagers), on pense aussi que «la perspective du bouclier sanitaire ne peut être la seule à pouvoir être prise en compte», sans chercher à améliorer la qualité et la coordination des soins pour les 15 millions de malades chroniques. MG-France vient de proposer pour sa part une évolution de leur prise en charge «grâce à des référentiels de pratique mis en oeuvre par des médecins généralistes». Foisonnant d'idées, le débat prendra sans doute du temps.
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