Le fer est un élément essentiel à la vie de tous les organismes vivants, dont les bactéries. Elles synthétisent et sécrètent des sidérophores, peptides capables de chélater le fer. Dans le cadre de la lutte contre les bactéries multirésistantes, plusieurs industriels ont imaginé de coupler des antibiotiques à des sidérophores : ceci permet de faciliter la pénétration intracellulaire de l’antibiotique via les porines bactériennes dévolues au transport transmembranaire des sidérophores. C’est l’application moderne d’une antique stratégie guerrière chère à Homère, celle du cheval de Troie. Les récepteurs bactériens aux sidérophores sont en effet surexprimés dans les atmosphères pauvres en fer, comme c’est le cas à l’intérieur du corps humain : les bactéries présentent une affinité accrue pour ces sidérophores, qu’elles internalisent ensuite via des porines spécifiques.
Cette année, une série de communications a fait le point sur le développement de ces complexes antibiotiques-sidérophores. Plusieurs produits sont en effet actuellement à des stades de développement plus ou moins avancé.
Milieu chélaté
Le complexe AZ-3176 (Astra-Zeneca), associant monocarbam et sidérophore, a été testé sur une centaine de souches de Pseudomonas aeruginosa, avec des Concentrations minimales inhibitrices (CMI) très basses, allant de 0,125 à 1 µg/ml (1). La détermination de ces CMI nécessite l’ajout d’un chélateur du fer, l’apotransferrine, aux milieux de culture : les CMI initiales de 8-16 µg/ml passent, en milieu chélaté en fer à des valeurs inférieures ou égales à 1 µg/ml, reflet a priori de l’efficacité in vivo.
Une série de communications a été présentée sur le complexe S-649266 (Shionogi & Co), qui associe également une céphalosporine et un sidérophore (2). Il montre une efficacité remarquable in vitro sur P. aeruginosa, Acinetobacter baumanii, Stenotrophomonas maltophilia, et K. pneumoniae, y compris en cas de production de carbapénèmases (KPC, VIM, NDM-1), avec des CMI ≤ 1 µg/ml (≤ 2 µg/ml pour Acinetobacter baumanii). En comparaison avec la ceftazidime, le S-649266 montre une bien moindre sélection de résistances : les fréquences d’apparition de mutants résistants sont ainsi diminuées d’un facteur 10 à 100 par rapport au comparateur.
Cette molécule a été testée in vivo, dans des modèles murins de sepsis, de pneumonie, d’infection urinaire, et d’abcès sous-cutané, à E. coli, K. pneumoniae, P. aeruginosa, Acinetobacter baumanii, Stenotrophomonas maltophilia, et Burkholderia cepacia. Elle montre une diminution des charges bactériennes 1 000 fois plus importante qu’avec le céfépime. L’activité du produit dans ces modèles est comparable à celle des polymyxines, qui constituent actuellement le dernier recours thérapeutique sur ces bactéries multirésistantes.
Là encore, la détermination des CMI nécessite l’ajout au milieu d’apotransferrine. Les simulations pharmacologiques dans un modèle de pneumonie du rat ont permis de déterminer qu’une posologie unitaire de 2 g en perfusion intraveineuse pourrait être efficace chez l’homme. D’ailleurs, un essai chez 40 volontaires sains a permis de montrer que cette posologie de 2 g est parfaitement bien tolérée. L’élimination du produit est essentiellement urinaire.
Autre produit dont le développement est relativement avancé, le BAL-30072 (Basilea Pharmaceutica), qui couple un monosulfactam à un sidérophore. Ce produit montre, après administration chez des volontaires sains, des concentrations urinaires élevées, permettant d’assurer la bactéricidie sur la plupart des uropathogènes, y compris multirésistants (3).
Ces molécules ne sont évidemment pas infaillibles. En effet, des mutations de certains récepteurs, tels que PiuA et PirA chez P. aeruginosa, diminuent de manière significative la pénétration intracellulaire des antibiotiques (4). La viabilité et la virulence de bactéries présentant des mutations sur ces systèmes essentiels à leur survie sont mal connues à ce jour. Néanmoins, cette stratégie du cheval de Troie semble prometteuse et pourrait nous permettre de bénéficier de nouvelles armes antibactériennes efficaces contre les bactéries sécrétrices de bêta-lactamases à spectre élargie et autres carbapénèmases, qui menacent actuellement de nous réduire rapidement à l’impuissance, en l’absence d’innovations thérapeutiques. La connaissance fine du métabolisme bactérien amène ainsi à imaginer de nouveaux modes d’action pour lutter plus efficacement contre ces infections.
Communications au congrès de l’ICAAC2014 :
(1) F-1556
(2) F-1558, F-1560, F-1562, F-1563
(3) F-1565
(4) C-1453 et A-684
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