« LA MAÎTRISE comptable, je ne sais pas ce que cela veut dire.»
Éric Woerth dans l'interview publiée par « le Quotidien » du 13 octobre balayait d'un revers de main toute allusion à un changement de stratégie du gouvernement en matière de politique de santé et de maîtrise des comptes.
Mais, dans le même temps, le ministre du Budget et des Comptes publics ne manquait pas de se prononcer pour des mécanismes d'ajustement économiques pour atteindre les objectifs prévus et préconisait d'aller plus loin dans les contrats individuels proposés aux médecins, des médecins payés à la performance. On y est aujourd'hui, ou peut s'en faut.
Tous les gouvernements depuis des lustres ont rêvé de mettre en place un système comptable de maîtrise qui cache son nom. Le système de reversements, de sanctions collectives prévus par le plan Juppé était de cette veine et on se souvient de la bagarre qu'il a entraînée.
Le principe de contrat individuel en projet aujourd'hui est d'une tout autre philosophie : on ne sanctionne pas le médecin, on le récompense. Mais l'objectif est évidemment le même : il s'agit d'inciter le praticien à tenir les objectifs de dépenses définis à l'avance et d'arriver à maîtriser les comptes, tout en délivrant évidemment une médecine de qualité.
Le paiement à l'acte en question.
Éric Woerth l'affirmait encore dans l'interview du « Quotidien » : «Il n'est pas normal, s'exclamait-il, que seulement 60% des objectifs soient tenus», et le ministre du Budget de reconnaître que le système de sanctions n'avait jamais marché. Le dispositif de contrat individuel qui récompense le médecin a la faveur du gouvernement et notamment des grands argentiers de Bercy, même si du côté du ministère de la santé on est, semble- t-il, moins enthousiaste.
Il reste que, en cherchant à diversifier le système de rémunération des médecins et à sortir du tout-paiement à l'acte, ce qui n'a été que très partiellement fait pour l'instant, les pouvoirs publics espèrent ralentir la croissance des dépenses, partant du principe que le système du paiement à l'acte est d'abord inflationniste. Ce qui d'ailleurs n'est pas tout à fait faux. Claude Le Pen, économiste de la santé, va d'ailleurs encore plus loin. «Le contrat est un élément qui milite en faveur de la disparition du paiement à l'acte», n'hésite-t-il pas à affirmer. Même si ce n'est pas pour demain.
Reste que l'éventuelle mise en place de cette réforme suscite un certain nombre de réserves qu'un récent rapport de l'Inspection générale des affaires sociales a mis en évidence (« le Quotidien » d'hier et du 10 septembre 2008).
Ce contrat individualisé assorti de récompense en cas d'atteinte des objectifs pourrait aussi se traduire par un changement important du système conventionnel et des rapports médecins -
assurance-maladie. Ce que craignent certaines organisations, même s'il est vrai que le contrat type serait négocié et établi par des discussions entre ces deux partenaires traditionnels. À une démarche collective va succéder une démarche individuelle, et «c'est un changement radical», insiste Claude Le Pen, qui rappelle que, depuis trente ans, le système conventionnel et ses accords applicables à l'ensemble du corps médical émaillent les relations médecins-caisses.
Il y a un an, presque jour pour jour (« le Quotidien » du 9 octobre 2007), le député Yves Bur, expert du système de santé, et qui n'a pas toujours été tendre avec les médecins, reconnaissait qu'il fallait expérimenter dans un premier temps ce dispositif de contrat, mais voir aussi, disait-il, « avec les professionnels jusqu'où peut-on aller sans casser le système conventionnel». On est aujourd'hui près de l'expérimentation.
Des patients dans le doute.
Pour certains, chacun aura à gagner à l'application d'une telle réforme : le gouvernement, certes, qui peut espérer une modération de la croissance des dépenses ; l'assurance-maladie, qui engagera une nouvelle forme de coopération avec les médecins qui ne sera plus simplement fondée sur l'augmentation des tarifs mais aussi sur l'élaboration de critères médicaux ; le médecin, qui pourrait bénéficier d'une rémunération supplémentaire qui sera souvent la bienvenue. Mais quid du partenaire essentiel et qu'il ne faudrait pas oublier, le patient ?
Les avis sont à ce niveau partagés. Les uns estiment qu'il aura tout à gagner à une rationalisation des soins, à une modération des coûts et, en même temps, à une médecine de qualité affirmée dans ces contrats ; les autres, à l'inverse, estiment que la relation médecin-malade sera grandement affectée par cette réforme. Le patient, en particulier, pouvant suspecter le médecin de lui ordonner systématiquement un traitement de moindre coût, pas nécessairement en concordance avec son état de santé. On voit déjà les médecins, leurs organisations, l'Ordre s'insurger contre une telle mise en cause – et ils auront raison – , mais, dit un syndicaliste, comment être sûr que «le malade ne sera pas dans cet état d'esprit»?
Il faudra surtout éviter, commente Claude Le Pen, que cette réforme ne crée deux catégories de médecins : les «bons» qui auraient signé le contrat et qui en conséquence feraient de la médecine de qualité et les «moins bons» qui ne l'auraient pas signé. Il ne faut pas, ajoute-t-il, que dans l'esprit du patient naisse le doute, voire la certitude que l'on « paie, et que l'on récompense la qualité».
Le médicament mis à contribution.
Autre partenaire largement concerné par cette réforme : l'industrie pharmaceutique. Les grands groupes nationaux et internationaux en particulier craignent que l'incitation faite aux médecins de prescrire, dans des classes thérapeutiques essentielles, surtout des génériques plutôt que le médicament princeps – et là aussi dans un souci évident d'économies – mette à mal nombre de firmes et pénalise leur recherche et leur développement, à un moment crucial, alors que la croissance de leur activité s'est fortement ralentie. D'autant que les perspectives de 2009 ne sont pas des meilleures avec un projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2009 qui impose une évolution des dépenses de médicaments remboursables limitée à 1,4 %, tout comme l'année précédente.
Telle qu'elle est présentée aujourd'hui, cette réforme, aussi intéressante soit-elle, pose plus de questions qu'elle n'apporte de réelles réponses. «On risque d'ouvrir la boîte de Pandore», n'hésite pas à commenter Claude Le Pen. C'est dire les enjeux.
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