Aussi bien au Conseil national de l'Ordre des médecins qu'au conseil départemental de l'Orne, un des départements ruraux les plus touchés par la désertification médicale, on ne semble pas penser que les mesures gouvernementales soient de nature à faire bouger les choses.
Michel Ducloux, le nouveau président du Conseil national de l'Ordre, constate tout d'abord que « les collectivités locales ou territoriales pouvaient déjà mettre en place de telles mesures : les dispositions gouvernementales ont au moins le mérite de leur donner un cadre législatif ». Mais pour lui, l'essentiel n'est pas là et on n'échappera pas à une révision à la hausse du numerus clausus. Quant à la prime prévue par la loi Gaymard, « elle devra être incitative et pérenne, car pour 10 000 euros, les médecins n'iront pas ».
Michel Ducloux constate, un brin caustique : « Depuis des années, les pouvoirs publics suppriment beaucoup d'infrastructures dans les zones rurales ; moins de postes, moins de gares, moins d'écoles, etc., et maintenant on demande aux médecins de revenir. » Le président du Conseil de l'Ordre craint par ailleurs que des inégalités se creusent entre les régions : « Certaines sont riches et auront les moyens de participer au financement de ces mesures, mais d'autres n'en auront pas les moyens. » Enfin, sur le projet d'instauration de bourses pour les étudiants qui s'engageraient à exercer dans des zones rurales déterminées, le président Ducloux paraît mitigé : « C'est une possibilité qui peut être envisagée, mais il ne faudrait pas que ça devienne une atteinte à la liberté d'installation. »
Quant à l'élaboration de l'ensemble de ces mesures, « l'Ordre n'y a pas été associé, alors que nous avons beaucoup travaillé sur des sujets comme les cabinets secondaires et les cabinets de groupe. Mais nous restons à la disposition du gouvernement pour travailler avec lui sur ce sujet ».
Dans le département de l'Orne, le Dr Jean-Michel Gal est médecin généraliste et trésorier du conseil départemental de l'Ordre. Il commence par un rapide état des lieux : « Dans notre département, nous avons une des plus faibles densités médicales du pays avec 70 généralistes pour 100 000 habitants. Il reste 216 généralistes dans l'Orne, parmi lesquels 106 partiront à la retraite d'ici à dix ans, sans compter ceux qui, tout simplement, vont dévisser leur plaque. De plus, la profession se féminise rapidement depuis des années, et les femmes médecins ont statistiquement plus tendance que les hommes à se diriger vers d'autres secteurs que la médecine générale en secteur rural. » Les mesures gouvernementales ne trouvent pas grâce à ses yeux : « La prime à l'installation était déjà prévue il y a deux ans, mais le décret d'application n'a jamais été publié. Quant à la bourse pour les étudiants, ça me paraît bien aléatoire ; car, comment un étudiant en première ou deuxième année pourrait-il être sûr de la filière qu'il choisira plus tard ? »
Le Dr Gal ne cache pas son inquiétude : « Si aucune mesure sérieuse n'est prise rapidement, des départements comme l'Orne seront tôt ou tard totalement désertés ; je pense que la médecine libérale en zone rurale est condamnée à court terme. »
Que faire pour faire mentir ces prévisions de Cassandre ? « Il faut tout d'abord définir ce que sont et où sont les zones sinistrées, puis établir un numerus clausus à l'installation, comme ça se fait déjà pour les pharmaciens. » Mais ce n'est pas tout et le Dr Gal croit plus aux aides fiscales qu'aux primes : « Pourquoi ne pas imaginer un système dans lequel les indemnités et les honoraires produits par les gardes et astreintes ne seraient pas intégrés au chiffre d'affaires imposable ? »« Vous savez, conclut-il, je propose toujours aux gens de venir voir sur le terrain comment ça se passe pour un médecin rural, car pour nous, l'exercice devient de plus en plus dur, physiquement et psychologiquement. »
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