Le Généraliste. Comment avez vous tourné la première scène, où le patient apprend qu’il est condamné ?
Andreas Dresen. Cette scène, je voulais l’éviter parce qu’on l’a vue dans tellement de mauvais drames sentimentaux. Mais il fallait que je la tourne, quitte à la couper, car c’était utile à la mise en condition de mes deux acteurs. J’ai appelé de nombreux médecins. Un seul a accepté. Je l’ai rencontré la veille du tournage. Il m’a dit que ces moments pénibles ne donnaient pas lieu à de fortes réactions émotionnelles : les gens sont sous le choc. J’avais donc demandé à mes comédiens de ne pas être trop démonstratifs. Ils se sont retrouvés face à lui directement à l’hôpital, devant la caméra, dans son propre bureau, là où il fait ce genre d’annonce deux ou trois fois par semaine. Rien n’avait été écrit, il faisait son travail, comme avec n’importe quel malade. Le plus troublant, c’est que, dans la salle d’attente, il y avait des patients à qui il allait devoir dire la même chose. J’avais décidé de laisser la caméra uniquement sur son visage, et puis l’émotion est montée et j’ai senti qu’il fallait aussi filmer le couple. Et on a fait trois prises. A la fin, Steffi qui joue la femme n’a pas pu retenir une larme. Mais le caméraman et moi même nous pleurions aussi.
Pourtant, ce qui frappe dans votre film, c’est que vous bannissez tout sentimentalisme.
A.D. C’est vrai. L’objectif était de filmer la vérité sans fard. Vérité qu’on doit aux patients, à la famille, aux enfants aussi. Ce sont mes comédiens qui, durant la prise, ont posé d’eux mêmes la question : doit-on le dire aux enfants ? Le médecin répond : S’ils le demandent, oui, vous devez dire la vérité. Une chose m’a frappé, c’est qu’il fait de longues pauses de silence. Il m’a expliqué qu’il faut donner aux patients le temps de comprendre ce qu’il annonce, et leur laisser le temps de poser leurs questions.
Le deuxième médecin qui joue son propre rôle est la femme qui suit Frank à domicile. Comment l’avez vous dirigée ?
A.D. Elle aussi avait d’abord refusé. Elle a accepté quand je lui ai dit qu’on ne ferait qu’une seule prise et qu’elle improviserait ses réactions selon la situation que je lui indiquerais. Par exemple : vous arrivez alors que Frank a crié toute la nuit et sa femme n’en peut plus. Cette femme, médecin à domicile, s’occupe de plus de cinquante personnes en même temps, et dans des districts difficiles. Sur ce film, elle a été extraordinaire, comme un ange bienfaiteur. Je faisais des prises très longues (j’ai plus de quatre-vingt heures de rushes !) et, quand ils ne sont pas interrompus, les non acteurs s’impliquent totalement et finissent par oublier la caméra. D’où l’authenticité du film…
Vos personnages n’ont aucune conviction religieuse.
A.D. C’était un choix. On a choisi un contexte social avec des personnages simples. Les docteurs m’ont dit que mourir à la maison est vraiment le meilleur choix, mais pas forcément avec les intellectuels. Ils ont peur, leurs angoisses rejaillissent sur la famille et on doit finalement les faire retourner à l’hôpital. Je n’ai pas abordé non plus l’éventualité de l’euthanasie, un sujet qui justifierait un film entier. J’ai voulu montrer une femme submergée par des questions pratiques, qui, avec deux enfants, ne doit pas oublier que la vie continue.
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