Un centre droit hypertrophié

Publié le 11/06/2002
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Une analyse plus minutieuse des résultats du premier tour des législatives montre que le succès de la droite classique est encore plus important qu'il n'y paraissait dimanche soir.

• Premièrement, les extrêmes ont été envoyés par le fond.
Nous l'avons certes signalé dès notre dernière édition de lundi, et mardi encore. La défaite de l'extrême droite est d'autant plus considérable qu'elle a perdu huit points entre le premier tour de la présidentielle et le premier tour des législatives. Or son électorat est par essence motivé, assidu et tenace. Même au second tour de la présidentielle, Jean-Marie Le Pen réunissait encore autour de son nom plus de 17 % des voix. Par quel phénomène son mouvement, le Front national, est-il tombé à 11 % (le MNR de Bruno Mégret recueillant 1,5 %) ? Cette « divine surprise » ne peut s'expliquer que par un gonflement éphémère, le 21 avril dernier, des forces de l'extrême droite sous l'effet du vote de protestation.

Peur mutuelle

D'une part, les manifestations qui se sont déroulées en France entre le 22 avril et le 6 mai ont probablement restitué au FN sa « mauvaise réputation » : tous ceux qui votaient pour la première fois en faveur de M. Le Pen ont évité de récidiver, peut-être par embarras.
D'autre part, la victoire de Jacques Chirac au second tour de la présidentielle a écarté deux menaces : celle de l'extrême droite, bien sûr, mais aussi celle de l'extrême gauche. Ce n'est pas un hasard si Olivier Besancenot a été battu à plate couture dès le premier tour des législatives : il ne s'est jamais demandé si son discours révolutionnaire était un tant soit peu crédible.
En se faisant peur mutuellement, extrême gauche et extrême droite se sont affaiblies réciproquement.
• Deuxièmement, qui s'est abstenu ? Une faible partie de l'électorat de gauche a fort bien perçu que, si elle la faisait gagner, elle donnerait cinq ans de plus à la cohabitation : le chef de l'Etat, en effet, n'a jamais laissé entendre qu'il démissionnerait dans l'hypothèse d'une victoire de la gauche. Il s'agit d'électeurs de sensibilité de gauche, socialistes, verts ou même communistes, qui n'ont pas la carte d'un parti, mais s'expriment au moment du scrutin. Ceux-là peuvent vivre avec un gouvernement de centre-droit : ce ne sont pas des militants.
Leur abstention est peut-être plus politique qu'il n'y paraît. Elle n'est motivée ni par la paresse, ni par le manque de civisme, ni par la Coupe du monde, ni par Roland-Garros. C'est une abstention réfléchie.
• Troisièmement, l'appel - lancé par tous les partis - à l'électorat pour qu'il se resaisisse, risque, dans ces conditions, de rester sans effet. Une partie des abstentionnistes ne souhaite pas voter à droite, mais ne veut pas non plus de la cohabitation.
• Quatrièmememnt, l'aversion pour les extrêmes va plus loin que les extrêmes. Le Parti socialiste, avec près de 24 % des voix, fait un score tout à fait honorable (un demi-point de plus qu'en 1997). Il n'est donc nullement affaibli. Ce sont ses alliés dans l'ex-gauche plurielle qui, par leur décomposition, le privent d'une force d'appoint. Le PC, avec 4,95 % des voix, fait un tout petit mieux que Robert Hue à la présidentielle, mais ne peut plus constituer un groupe parlementaire à l'Assemblée. Les Verts, avec 4,47 % des voix, reculent ou stagnent bien qu'ils aient participé au pouvoir pendant cinq ans et fait de multiples propositions politiques. Il est clair que le discours des Verts et des communistes ne séduit guère les Français, qui semblent avoir traité ces deux formations comme des partis marginaux.
• Cinquièmement, sur 58 candidats élus ou réélus dès le premier tour, 56 appartiennent à la droite (si l'on inclut Philippe de Villiers, Mouvement pour la France), deux seulement sont socialistes, dont Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste de l'Assemblée sortante. Ce n'est pas le hasard qui a produit ce déséquilibre au premier tour des législatives, c'est une forte poussée du centre-droit et de la majorité silencieuse.
• Sixièmement, le FN en déroute a perdu son rôle d'arbitre dans les triangulaires et donc son pouvoir de nuisance. Rappelez-vous : juste avant le premier tour des légisaltives, on annonçait des triangulaires dans un tiers ou au moins 150 circonscriptions. On sait maintenant qu'elles n'auront lieu que dans 37 circonscriptions. Le MNR est inexistant : Bruno Mégret a été éliminé à Vitrolles, son fief, dès le premier tour. L'avance de l'UMP est telle que, même si elle perd du terrain au second tour, elle aura la majorité absolue, sinon seule, du moins avec l'appoint de l'UDF de François Bayrou.
La plupart des ballottages sont favorables à la droite. Dans ces conditions, on voit mal comment un retournement peut se produire dans les jours qui viennent, même si les abstentionnistes retournent aux urnes.

Payer pour les excès

Quelle leçon faut-il tirer de ces quelques chiffres ? D'abord que tous ceux qui ont voulu, à la présidentielle, se singulariser par rapport aux principaux partis, le PS et le RPR, paient très cher leur politique du cavalier seul. Le PC et les Verts paient pour les attaques excessives qu'ils ont lancées contre leurs amis socialistes ; le Pôle républicain de Jean-Pierre Chevènement, déjà aplati à la présidentielle, descend aux enfers, avec 1,04 % des voix (Georges Sarre a été battu à Paris au premier tour) : c'est une aventure qui finit mal.
Les trotskistes, qui ont occupé une grande partie de la scène publique pendant la présidentielle, ne font pas mieux que 2,73 %. Même M. Bayrou, pourtant animé des meilleures intentions (il ne veut pas subir la loi de l'UMP et d'Alain Juppé) n'a guère aidé son mouvement, l'UDF, qui avait 109 députés en 1997 et se bat maintenant pour en avoir 20 et former un groupe parlementaire.
On peut dire, bien sûr, que la création de l'UMP, sorte de force centripète qui avale tous les mouvements périphériques, n'a pas été un modèle de démocratie. Mais il faut se rendre à l'évidence : c'est une stratégie efficace, pour la bonne raison qu'elle est dictée par le mode de scrutin. Dès lors que le scrutin renforce les forts et affaiblit les moins forts, un mouvement uni, qui rassemble plusieurs composantes a plus de chances de l'emporter qu'un mouvement au sein duquel chaque formation veut garder son identité jusqu'au bout.

Sous la bannière de l'UMP

C'est tellement vrai que la gauche, bien qu'elle ait passé des accords d'union électorale, en veillant à ce qu'un des trois partis qui la composent ne gêne pas l'autre et en plaçant, dans chaque circonscription, le candidat qui avait le plus de chances de battre la droite, n'a pas réussi à s'imposer.
Si le PS avait adopté la stratégie dominatrice de M. Chirac, il aurait exigé que socialistes, Verts et communistes se présentent partout sous la même étiquette. Il est probable qu'il n'aurait pas eu plus de chances dans cette tentative que M. Chirac avec M. Bayrou. La différence, c'est que l'UMP a dépouillé l'UDF de ses forces vives : de très nombreux candidats UDF se sont présentés sous la bannière de l'UMP.
Le PS pouvait-il intégrer des Verts et des communistes ? Il est certain que l'électorat, qui distingue mal ce qui oppose M. Bayrou à M. Chirac, établit une forte distinction entre un socialiste et un communiste. Et de toute façon, c'est bien connu : le PC n'en finit plus de se suicider. Mais tous, PC, Verts, chevènementistes, sont allés au front électoral pour y mourir. Certes, le PC aura des députés à l'Assemblée (mais sûrement moins de vingt) et les Verts environ sept sièges. Alors qu'à droite, M. Bayrou devrait en obtenir entre 22 et 27.
Chacun des mouvements de l'ex-gauche plurielle s'est acharné à survivre, par la parole pendant la campagne de la présidentielle, puis par des élus à l'Assemblée. Mais c'est leur propre camp qu'ils ont conduit à la défaite. Aujourd'hui, les socialistes ont de quoi être amers : de la défection des chevènementistes à la surenchère des communistes et des Verts, ils sont victimes des ambitions de leurs alliés qui, en coulant, les ont entraînés dans le naufrage.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7144