Mme R., ÂGÉE de 50 ans, est incarcérée à la maison d'arrêt de Limoges. Elle est reçue à l'UCSA (unité de consultations et de soins ambulatoires) pour sa visite médicale d'admission. Il s'agit d'une patiente originaire du Congo-Brazzaville qui n'est pas revenue dans son pays depuis l'âge de 19 ans. Elle semble a priori, lors de ce premier examen clinique, en bon état général. Les constantes de surveillance (pouls, tension, température, poids) sont satisfaisantes. L'interrogatoire retrouve une intoxication alcoolo-tabagique. Elle présente une toux comme tout bon fumeur.
Une radio pulmonaire est programmée dès que possible et des sérologies sont réalisées (VIH, VHB, VHC, hépatite B, hépatite C), qui se révéleront négatives. Lors de la lecture du cliché pulmonaire, le pneumologue du centre de lutte antituberculose (CLAT), qui assure régulièrement une vacation à l'UCSA, a, devant un infiltrat excavé du lobe supérieur gauche, une très forte suspicion d'affection à bacille de Koch. Le service médical organise alors le transfert de la patiente vers les urgences du CHU de Limoges pour confirmer le diagnostic.
Sécurité, précaution et soins.
A partir du moment où le diagnostic a été évoqué, nous avons dû mettre en place toute une série de mesures. La difficulté de ce type de problème dans une maison d'arrêt est de réaliser la coordination entre une administration pénitentiaire soumise à l'impératif de la sécurité et un service médical soumis au principe de précaution et de soins.
Ce dernier passe classiquement par l'isolement et le traitement du patient possiblement contaminé. Mais ce qui en ville peut paraître relativement simple – hospitaliser un patient possiblement contaminé après avoir pris contact avec le médecin des urgences – se révèle beaucoup plus difficile dans une maison d'arrêt. Il nous a donc fallu prendre contact avec le directeur de la maison d'arrêt, lui exposer la situation afin d'organiser le transfert de la patiente. Bien entendu, l'administration pénitentiaire nous a laissé toute latitude pour l'hospitalisation, mais il a fallu coordonner son départ avec les services de police qui devaient assurer la sécurité du transport. Nous avons dû nous assurer avec le service hospitalier de la possibilité d'avoir une place en chambre carcérale. Au CH de Limoges, il y a trois chambres carcérales sous surveillance policière.
Aux urgences, un premier prélèvement par aspiration est réalisé le jour même, ainsi qu'un deuxième le lendemain, par tubage gastrique. Vingt-quatre heures plus tard, le service de bactériologie confirme le diagnostic dès l'examen direct : présence de BAAR (bacille acido-alcoolo-résistant).
Après avis du chef de service de pneumologie, une thérapeutique par Rifater (association de rifampicine, pyrazinamide et isoniazide) et Myambutol (éthambutol) est mise en route. Un transfert à l'UHSI (unité hospitalière sécurisée interrégionale) est réalisé pour la poursuite et la surveillance du traitement. Cette unité est utilisée dès lors que l'hospitalisation dépasse 48 heures ; pour notre région pénitentiaire, elle se situe à Bordeaux. Un transfert sécurisé a donc eu lieu entre les deux hôpitaux. La bonne coordination des différents intervenants (UCSA, service pénitentiaire, service des urgences du CHU de Limoges, UHSI de Bordeaux) a permis une prise en charge rapide et efficace de la patiente.
Information et recherche des sujets contacts.
Une fois ce problème réglé – ce n'était pas le moindre –, il restait toute la problématique d'une maladie infectieuse contagieuse dans un environnement clos avec une population qui, lorsqu'elle arrive dans une maison d'arrêt, est souvent en mauvaise santé. Nous avions aussi à gérer l'angoisse légitime du personnel pénitentiaire qui avait vu partir une détenue avec des ambulanciers portant des masques. Tout cela n'a pas été négligé car la prison est un monde clos où les tensions vécues par les détenus mais aussi par le personnel se déclupent. Nous avons donc organisé des réunions d'information.
Quelle attitude avons-nous eue par rapport aux sujets contacts, qui pouvaient être très nombreux ? Le médecin traitant a été informé du diagnostic, il a contacté l'entourage qu'il connaissait. La déclaration obligatoire a été réalisée par le centre de lutte antituberculeuse dès la confirmation du diagnostic. Par ailleurs, des contacts avaient été possibles lors de l'arrestation : deux autres prévenus se trouvaient dans le même fourgon qui les amenait à la maison d'arrêt de Limoges. De multiples personnes de domaines différents (police, justice, pénitentiaire, social, médical, visiteurs...) avaient pu être en contact avec notre patiente. Au sein même de la prison, toute une chaîne humaine pouvait avoir rencontré ce fameux bacille de Koch.
Une coordination entre les différents services (pénitentiaire, UCSA, médecine du travail, médecine de prévention) a permis de lister les sujets contacts. Notre unité a géré en priorité le dépistage des détenues du quartier femmes, du fait de la proximité avec la patiente, mais elle s'est occupée aussi des détenus hommes qui avaient été transportés dans le même fourgon. Une intradermoréaction a été réalisée, ainsi qu'une radio pulmonaire pour les détenus qui n'en avaient pas eu de récente. Un suivi à trois mois a été programmé, puis à un an. L'ensemble des résultats sera transmis au centre de lutte contre la tuberculose.
La médecine du travail du centre hospitalier universitaire a pris en charge le personnel de l'UCSA. Le personnel pénitentiaire a été suivi par le médecin de prévention. Cette bonne coordination va permettre de limiter des cas de tuberculose secondaire. Nous avons prévu une rencontre avec le CLAT pour analyser la gestion de cette situation et les possibles améliorations si un nouveau cas se présentait. Un dépistage radiologique est désormais réalisé chaque semaine, conformément à la réglementation (circulaire DGS-DAP août 1998), pour ne pas retarder un éventuel diagnostic de tuberculose.
Perdus de vue
La tuberculose reste beaucoup plus fréquente en milieu carcéral qu'à l'extérieur, mais sa prévalence a diminué de plus de moitié en dix ans dans les neuf maisons d'arrêts d'Ile-de-France, rapporte une étude publiée le 8 janvier dans le « Bulletin épidémiologique hebdomadaire ». Sur 22 450 personnes incarcérées du 1er juillet 2005 au 30 juin 2006, 26 cas ont été identifiés, ce qui porte la prévalence à 106,9 pour 100 000 détenus, contre 19,7 dans la population générale en région parisienne. Le diagnostic et le traitement se font selon les bonnes pratiques cliniques, notent les auteurs, Amandine Cochet et Hubert Isnard. En revanche, la plupart des patients sont perdus de vue à leur libération. Une autre faille relevée par les deux épidémiologistes tient aux «nombreuses anomalies» du dépistage systématique par radio pulmonaire chez les entrants, «le taux de détection variant de 58 à 99%» d'une prison à l'autre. En fait, «seule une moitié des prisonniers a bénéficié d'un dépistage réalisé dans les délais prévus par la réglementation» (8 jours au maximum), indiquent les enquêteurs, qui préconisent une «articulation plus étroite» entre équipes de soins carcérales et intervenants en santé de l'extérieur afin d'améliorer le suivi à la sortie de prison. > PH. R.
Le plan de lutte
En juillet 2007 (« le Quotidien » du 12), le ministère de la Santé a présenté un plan national de lutte contre la tuberculose, dont les axes principaux sont :
– un diagnostic précoce et adapté : chaque médecin doit savoir évoquer ce diagnostic devant toute affection respiratoire traînante ou une altération de l'état général persistante ; il doit chercher les facteurs de risque (précarité, populations migrantes venant d'un pays à forte incidence) ;
– un dépistage systématique : chez les personnes ayant été en contact avec un patient contaminé ; chez les enfants de moins de 15 ans issus de zones de forte incidence ; chez les professionnels de santé ;
– optimiser la stratégie vaccinale par le BCG ; la vaccination des nouveau-nés à risque doit être discutée lors de la consultation au huitième jour après la naissance ;
– maintenir la résistance aux antibiotiques à un faible niveau ; la prévention de l'émergence et de la transmission des bacilles multirésistants repose en premier lieu sur la prescription de traitements adaptés et sur la prise en charge médico-sociale jusqu'à guérison (85 % de guérison à six mois pour l'organisation mondiale de la santé) ;
– améliorer la surveillance épidémiologique et les connaissances sur les déterminants de la tuberculose.
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