> Un médecin, une vie
POUR RETRACER sa carrière, le Dr Pierre Foldès, urologue béni des femmes dont le sexe a été excisé, ne s'embarrasse pas de dates. On déduit son âge de son visage aux cheveux blancs coupés court : 51 ans, après vérification.
Des panneaux de photos accrochés aux murs de son bureau, à l'hôpital de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), rendent compte de sa passion, celle qui le fait avancer parfois contre vents et marées. On y voit beaucoup de portraits d'enfants (parmi lesquels ceux des siens, il en a cinq), on y voit des photos de guerre et de souffrance, on y voit des photos de rencontres, des rencontres faites au gré de missions humanitaires. Quelques visages connus font partie du pêle-mêle : Gandhi, Anne Franck et, derrière lui, détachée du reste, la photo sur laquelle il se trouve aux côtés de mère Teresa. « La médecine humanitaire est au centre de mon engagement », confirme-t-il, plantant ses yeux clairs droit dans les vôtres.
« J'ai toujours voulu faire de la médecine pour la chirurgie. Il faut que je mette les mains : je suis taureau 1er décan, ancré dans le sol », explique-t-il. Taureau et breton, bien résolu à porter le flambeau de l'action alors que ses parents rêvaient pour lui d'une carrière plus rigoureuse, selon eux : si ce n'est celle de comédien de théâtre, du moins celle d'ingénieur. « Mes parents n'ont jamais considéré la médecine comme un métier. Je n'ai pas de référence médicale familiale, je n'ai pas baigné dans l'idée de reprendre un cabinet. C'était hypermotivant », se réjouit-il.
Au cours de ses études, Pierre Foldès s'oriente, au contact du Pr Roger Couvelaire, qui travaille sur le remplacement vésical, vers la chirurgie-urologie. « Je reste chirurgien, souligne-t-il. Je fais toujours des gardes de chirurgie viscérale. Je sais, encore aujourd'hui, poser un fixateur externe. » Il lui faut quatre ans pour boucler sa thèse, un gros ouvrage illustré à la gouache et à l'encre de Chine, grâce auquel il récolte plusieurs prix. Le Pr Vincent Delmas, urologue et responsable du musée de l'institut d'anatomie, se souvient de l'enthousiasme de ce jeune interne admiratif de son directeur de thèse, le Pr Maurice Camey, l'un de ceux qui se sont battus pour les néovessies. « Pierre Foldès a toujours fait les choses à fond. Il a tout de suite compris l'importance du sujet. C'était en plus un passionné de dessins anatomiques », raconte le Pr Delmas, qui garde en mémoire les « fabuleux » swings de golf mimés par l'imposant Foldès dans le bloc opératoire. Une carrure d'athlète, « un géant tendre » pour Me Linda Weil-Curiel, avocate et membre de la Commission pour l'abolition des mutilations sexuelles.
Avec mère Teresa.
Le Dr Pierre Foldès part pour ses premières missions humanitaires dans les années 1970, en Amérique latine et en Afrique principalement. En 1978, sa découverte de l'Inde et sa rencontre avec mère Teresa, auprès de qui il médicalise les mouroirs de Calcutta pendant trois ans, le bouleversent : c'est une « révélation ». « C'est là-bas que j'ai découvert la notion fondamentale de l'engagement humanitaire : l'obligation de résultat, explique-t-il. Il y a une double responsabilité, celle de soigner, mais également celle de représenter des valeurs étrangères et de gérer le différent culturel. La médecine est un moyen d'entrer en contact avec la personne humaine : il n'y a pas que le pouls et la tension. » Avec mère Teresa, le Dr Foldès apprend l'implication totale et permanente, lorsque « l'expérience devient engagement ». Les missions humanitaires enrichissent le médecin : « Les problèmes médicaux sont les mêmes ici ou là-bas. J'ai rapporté beaucoup de matériel intellectuel. » On apprend à gérer le stress extrême, on apprend la « débrouillardise », on apprend à donner la priorité à la clinique avec un seul objectif : l'efficacité. « Dans l'humanitaire, l'image de la goutte d'eau dans la mer n'existe pas. Il n'y a pas d'utopie, mais une valorisation totale de la notion de travail », dit-il.
« TOUT ACTE MEDICAL A UNE IMPLICATION POLITIQUE »
De retour en France, il choisit de s'engager aux côtés des équipes de Médecins du Monde (MDM) plutôt qu'avec celles de Médecins sans Frontières (MSF), pour une question de philosophie, parce que les médecins de MDM sont également impliqués dans la société civile : « Il n'y a pas d'opposition, c'est une façon différente de travailler », indique-t-il. Qu'il travaille au sein d'une association humanitaire, à l'hôpital en tant que PU-PH ou dans une une clinique privée (la clinique Louis-XIV de Saint-Germain-en-Laye) en secteur II, Pierre Foldès reste attaché à la continuité de son engagement. « Je couvre tout le panel », s'amuse-t-il à dire. Le Dr Foldès, pour qui « tout acte médical a une implication politique » se donne les moyens de sa militance et de sa fidélité. « Je suis toujours fasciné de voir le pin's de MDM accroché à ses chemises, raconte le Dr Michel Brugière, directeur général de MDM. C'est à croire qu'il ne les enlève jamais. » Responsable de la partie Asie, Pierre Foldès a notamment permis à l'association d'entrer en Birmanie et en Indonésie.
165 millions de femmes.
Mais, depuis deux ans, en marge de l'association, le Dr Foldès se consacre principalement à une bataille qu'il a commencé à livrer en Afrique, il y a une quinzaine d'années : la lutte contre l'excision, mutilation sexuelle féminine qui provoque de graves séquelles (douleurs intenses, risques d'hémorragies, fistules vésico-vaginales, stérilité, dépression). « Sachant que j'étais urologue, certaines femmes excisées sont venues me voir. Leurs cicatrices étaient très douloureuses », témoigne le médecin, qui cherche alors une réponse à ce problème de santé publique : 165 millions de femmes sont victimes de cette pratique ancestrale. Empirique, l'opération chirurgicale est calquée sur la technique des allongements de la verge. Bravant le poids des traditions, les patientes du Dr Foldès doivent faire face aux menaces. Le médecin aussi : « J'ai alors décidé de revenir en France pour mettre au point la technique de réparation. Lorsque j'ai commencé mes recherches, je me suis aperçu que, dans la littérature médicale, le clitoris n'existait pas. On disposait de nombreux dessins anatomiques de la verge mais seulement trois du clitoris. »
Une intervention bientôt remboursée.
Avec la collaboration du Pr Vincent Delmas, il effectue une étude anatomique et physiologique de l'organe féminin, puis frappe à la porte du Pr Bernard Jean Paniel (Créteil), « une référence mondiale en matière de physiologie de la vulve », avec pour résultat la publication du protocole d'intervention et des recommandations de l'Académie de médecine (« le Quotidien » du 14 juin). « L'idée de réparation du clitoris de Pierre Foldès est très astucieuse », commente le Pr Paniel. Outre la suppression des phénomènes douloureux , « l'opération donne non seulement un résultat cosmétique mais également un espoir de fonctionnalité », souligne-t-il. L'efficacité de l'intervention à distance doit être encore évaluée. Mais d'ores et déjà, la Caisse nationale d'assurance-maladie a accepté d'intégrer l'acte de reconstitution du clitoris dans la nouvelle nomenclature. Selon les chiffres donnés par l'association Groupe femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles (Gams), on estime aujourd'hui à 35 000 le nombre de fillettes ou d'adolescentes excisées ou menacées de l'être en France. « La technique de réparation est aujourd'hui reconnue et bientôt remboursable, se félicite Pierre Foldès. Cette reconnaissance symbolique est une victoire qui criminalise l'excision en France : ce qui est important, ce n'est pas le fait que je répare mais c'est la révélation de la souffrance des femmes excisées. Chapeau, la patrie des droits de l'homme », s'exclame-t-il. Pour répondre à la demande croissante des femmes, il tente aujourd'hui de former des médecins, africains notamment. Pierre Foldès s'est hissé au rang de disciple de mère Teresa. « C'est un héros de l'humanité, estime Me Linda Weil-Curiel. Je ne sais pas quoi dire d'autre. »
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