De notre correspondante
LE 13 janvier 2000, Denis Chatelier, amputé des deux mains suite à l'explosion d'une fusée artisanale, devenait le premier patient, au monde, à bénéficier d'une double allogreffe des mains. L'opportunité d'une telle intervention avait été longuement mûrie : une précédente allogreffe de main, réalisée à Lyon en 1998, s'était rapidement compliquée du fait d'une mauvaise appréciation du profil psychologique du receveur.
Denis Chatelier, qui vient de subir son bilan à cinq ans, incarne aujourd'hui une forme de patient idéal, tant son évolution fonctionnelle, psychologique et sociale semble avoir dépassé les espérances. Rappelons que cette intervention avait, à l'époque, mobilisé deux équipes travaillant simultanément, afin de préparer les moignons, les greffons et effectuer la transplantation. Une physiothérapie passive avait été entreprise douze heures après l'opération et la mobilisation active des muscles fléchisseurs et extenseurs, dès le quinzième jour.
Les réussites.
Le premier et grand défi à relever était alors, et surtout, d'éviter le rejet cutané. Un traitement immunosuppresseur associant des thymoglobulines, du tacrolimus, du mycophenolate mofetil (MMF) et de la prednisone avait immédiatement été instauré. Contre toute attente, l'équipe médicale n'a dû faire face qu'à deux rejets, aux 53e et 82e jours après la transplantation : un traitement combinant des doses modérées de prednisone et une crème aux corticoïdes a d'ailleurs rapidement permis de gérer ces deux épisodes. Aucune autre complication chirurgicale ou infectieuse n'est apparue depuis cette intervention. L'équipe mentionne toutefois une hyperglycémie transitoire, sans autre complication métabolique.
Denis Chatelier est aujourd'hui astreint à un traitement médicamenteux quotidien, soit 2,5 mg de tacrolimus, 1,5 g de MMF et 5 mg de prednisone. « Il s'agit d'un protocole comparable à ceux utilisés chez les receveurs de greffes de rein ou de foie sans complications, à cinq ans », a rappelé le Pr Dubernard. Un protocole dont les risques de complications métaboliques, de tumeurs cutanées et de lymphomes qui lui sont inhérents, sont désormais connus.
Les résultats fonctionnels sont jugés très satisfaisants, comme à l'issue des bilans précédents. Denis Chatelier, qui effectue toujours une heure de rééducation par jour, possède une sensibilité dite de protection, une sensibilité discriminative ainsi que la reconnaissance tactile des formes et des textures, hors du champ visuel. Du côté de la motricité, la fonction de préhension est assurée, mais les pouces et index des deux mains ne sont pas en mesure de faire « la pince ». Enfin, Denis Chatelier est venu lui-même témoigner de ce qui constitue la réussite « psychosociale » de cette transplantation : réinséré dans la vie active depuis le mois de mai 2003, il dit pouvoir aujourd'hui « mener une vie normale ».
Les enseignements.
De cette première mondiale, l'équipe du Pr Dubernard tire principalement trois enseignements. Ils constatent d'abord une facilité à prévenir et à enrayer le rejet cutané, sans avoir toutefois pu mettre en évidence de microchimérisme dans le sang du receveur qui aurait pu expliquer que ses lymphocytes peuvent cohabiter avec ceux du donneur. Ensuite, et grâce aux remarquables travaux de neuroscience réalisés par l'équipe d'Angela Sirigu et Pascal Giraux (Cnrs), ils ont révélé que l'image cérébrale de la main, disparue après l'amputation, se reformait quelques mois après la greffe. Enfin, le dernier enseignement est que la viabilité de la greffe est aussi liée au travail psychologique que le patient accomplira pour « apprivoiser » ses mains. « Les mains ne sont pas immédiatement fonctionnelles, contrairement à ce qui se passe dans les autres greffes », explique le Dr Gabriel Burloux, psychiatre de l'équipe ; « il a donc fallu que le patient passe par une phase de déni, pour que les mains, en reprenant leur fonction, se réinstallent dans sa vie ».
Depuis cette intervention, l'équipe de Jean-Michel Dubernard a réalisé une deuxième double allogreffe de main chez un homme de 25 ans, en mai 2003. Dans les deux ans qui viennent, « deux ou trois autres interventions de ce type sont envisagées », a-t-il indiqué, tout en précisant, « nous avons d'autres demandes, mais nous souhaitons avancer à notre rythme ». Selon le registre international, 24 allogreffes de main ont déjà été réalisées dans le monde, dont 12 doubles transplantations.
Au mois de juin 2004, le Comité consultatif national d'éthique (Ccne) avait livré une réflexion sur la portée des greffes de main, de bras,de jambe et de face, en soulignant que ces opérations posent la question du corps humain comme indéfiniment réparable. Ils avaient insisté sur le risque qu'il y a à considérer la vie uniquement au travers d'une fonction. En tout état de cause, l'histoire de la transplantation entre dans une nouvelle ère, a estimé, de son côté, le Pr Dubernard, pour conclure : « La voie est désormais ouverte à d'autres greffes associant plusieurs tissus, comme la greffe de la face. »
* Chef du service des transplantations au CHU de Lyon.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature