Jean de Kervasdoué qui vient de coordonner un ouvrage collectif consacré au revenu des professions de santé (1) creuse pour « le Quotidien » la question du revenu des médecins [lire aussi le dernier état des lieux du « Quotidien »].
Non, les praticiens français ne sont pas pauvres, au regard du revenu moyen de leurs concitoyens, explique l'économiste, mais il maintient le qualificatif « indigne », utilisé dans son livre à propos de la valeur du C et n'en démord pas : on ne choisit plus une profession médicale pour devenir riche.
LE QUOTIDIEN : Diriez-vous que finalement, aujourd'hui, un médecin ne vaut plus grand chose.
JEAN DE KERVASDOUÉ : Non ! Surtout pas ! On ne peut dire cela à aucun point de vue. Ni médical, ni social, ni économique... Le revenu des médecins, y compris celui des généralistes, reste très supérieur au revenu moyen des Français [25 500 euros nets]. Même si je n'oublie pas les dix ans d'étude des médecins, ni la brièveté des carrières de certains.
J'ajoute un point non négligeable : contrairement aux cadres ou aux avocats, la probabilité du chômage ou d'absence de clientèle est très faible pour les médecins. C'est une profession où la demande et la solvabilité de la demande sont sans équivalent.
Dans votre livre, vous estimez que le niveau de la consultation en France est « indigne ». Vous maintenez ce qualificatif ?
Oui car je pense que les symboles jouent un rôle.
Je vais chez un coiffeur à Paris. C'est un coiffeur particulier, il coupe très bien les cheveux. Mais voilà : je le paie 42 euros.
La consultation est rémunérée en-dessous de quelques services moins qualifiés. Symboliquement, ce n'est pas bon. Sans compter que cela conduit à faire du volume.
Pour en finir avec cette « indignité », vous préconisez notamment de revoir la nomenclature...
Précisément, je propose deux choses. D'abord que l'on étudie sérieusement ce que pourrait être un système de capitation. Ceci suppose d'examiner, outre la question financière, tout un tas de sujets : le système vaut-il pour les plus de 70 ans en ALD ou pas ? Les diabétiques de 22 ans, les femmes de 32 ans... doivent-ils en faire partie ? Un médecin peut-il refuser un patient ?...
Il y a désormais une bibliographie importante sur la question de la capitation, au Danemark, aux États-Unis... Il faut regarder ceci de près ! Et si on trouve un système qui convient aux patients et aux médecins, surtout, il ne s'agira pas de « l'imposer » mais bien de « le proposer » aux uns ET aux autres.
Et puis il y a, en effet, la révision de la nomenclature. L'exercice passe, à mon sens, par un processus annuel de révision des tarifs. Les exemples étrangers nous montrent toutes sortes de situations. Les modèles américains sont, de ce point de vue, très gérés, tandis que des pays comme la Grande-Bretagne n'ont pratiquement pas de nomenclature.
Quel gouvernement aurait selon vous le courage de se lancer dans un tel chantier ?
Mais ça a existé ! Il y a dix ans, on a fusionné NGAP et CDAM pour fabriquer la CCAM. Rien n'avait été fait depuis... 1972 ! Ça a coûté un peu d'argent. Mener une telle opération à somme nulle, c'est difficile. Mais si l'on crée une procédure annuelle et si on dépassionne, alors ce sera géré. Je connais une dizaine de pays qui savent faire cela sérieusement.
« On ne choisit pas une profession médicale pour devenir riche », écrivez-vous. Par provocation ?
Il y a toujours des exceptions mais non, je l'écris parce que c'est vrai. Comparons, par exemple, la profession de médecin à celle d'avocat. Il y a, d'abord, à l'intérieur de la seconde, une distribution des revenus beaucoup plus grande que parmi la première. Il se trouve des avocats qui gagnent 3 ou 4 millions d'euros par an, je ne connais pas de cliniciens qui atteignent ces sommes (dans les grands cabinets, on gagne 400 000 ou 500 000 euros). Il est assez clair que la distribution des revenus s'est beaucoup rétrécie chez les médecins par rapport à ce qui pouvait exister au début des années 70 où beaucoup de chirurgiens avaient des niveaux de rémunération qui représenteraient aujourd'hui autour de 2 millions d'euros.
Cette situation n'existera plus ?
Je ne sais pas, je ne dis jamais « jamais ». Mais aujourd'hui, je constate que je connais des avocats, des biologistes, des entrepreneurs en cliniques privées (quelques-uns sont médecins) qui ont fait fortune mais pas de chirurgiens qui se soient enrichis en étant chirurgien.
Sous la direction de Jean de Kervasdoué, « Le Revenu des professions de santé - Carnet de santé de la France », Mutualité française, Economica, 153 p, 27 euros.
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