Un appendice à toutes les sauces

Publié le 26/04/2006
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LECTEUR, ouvre bien ton esgourde droite, ta feuille gauche, désensable ces portugaises, tends les et apprends que l’oreille, qu’elle soit en coin, prêtée, taillée en pointe, dressée, cassée, voire bizarrement sourde... est un mot très affectionné de la langue française.

Il faut dire que l’appendice est utile. On peut indifféremment en orner des murs, y introduire une puce ou se reposer dessus (dormir sur ses deux oreilles est même conseillé aux bonnes gens qui goûtent la tranquillité). Allié à la bouche en un cycle sans fin, il permet de diffuser des nouvelles ou, au contraire, de stopper net leur propagation pour peu qu’elles tombent en fin de course sur l’oreille d’un sourd. C’est aussi l’organe favori des distraits qui, dans les cas extrêmes, présentent cette particularité d’un conduit reliant directement oreille droite et oreille gauche (ce qui rentre par l’une ressort par l’autre) et utilisent pour les autres la moitié seulement de leurs facultés auditives, n’écoutant que d’une oreille.

A l’inverse, les grands attentifs ne sont plus, finalement, qu’un pavillon géant (ils sont tout oreille), et les vrais calmes, inspirés par quelque modèle canin, ne bougent pas même d’une. Quant aux sceptiques, ils n’en croient pas souvent les leurs. Les affamés, c’est bien simple, n’en ont pas. Et, étrangement, si les objets de médisances en sont bien pourvus, c’est pour les sentir chauffer sans fin. Avoir l’oreille de quelqu’un et avoir de l’oreille, il s’agit de ne pas confondre, pas plus qu’avoir de l’oreille et avoir de l’oseille, mais c’est une autre histoire... Curiosité linguistique : les oreilles – les zoreils* – ont traversé les océans, essaimé outre-mer, où, par un curieux effet boomerang, elles désignent les Français de métropole. Les oreilles savent donc nager.

* Plusieurs hypothèses pour expliquer ce glissement : les métropolitains, ne comprenant pas le créole, tendent l’oreille et font constamment répéter ; c’est un souvenir du temps où les riches planteurs punissaient leurs esclaves en fuite en leur coupant une oreille.

> K. P.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7949