De notre correspondante
à New York
« LA GRANDE majorité des infections à VIH dans le monde sont transmises par voie sexuelle, le plus souvent à travers les rapports hétérosexuels », rappelle dans un communiqué le Dr Michael Lederman (université Case Western Reserve, Cleveland, Ohio) qui a dirigé ce travail. « Il y a un réel besoin d'une stratégie locale de prévention du VIH qui puisse être contrôlée par les femmes. Cela est particulièrement important dans les milieux où les hommes n'utilisent pas forcement des préservatifs. »
La difficulté pour développer une telle stratégie tient aux incertitudes sur la façon dont le VIH est transmis aux sites muqueux, notamment par quelles cellules hôtes et par quelles cibles moléculaires, il accède aux sites d'infection. On ne sait donc pas bien quelles voies doivent être bloquées pour prévenir la transmission muqueuse du VIH.
On sait que le récepteur chimiokine CCR5 à la surface des cellules T CD4+ est un cofacteur essentiel pour l'entrée du VIH et l'acquisition de l'infection. En effet, les sujets porteurs d'une mutation privant les cellules T CD4+ du CCR5 sont quasiment protégés de l'infection VIH. De plus, les VIH à tropisme pour le CCR5 prédominent au stade précoce de la transmission muqueuse.
Mais puisque le VIH est capable d'utiliser d'autres molécules cibles pour entrer dans d'autres cellules immunitaires, l'importance du CCR5 pour l'infection muqueuse reste controversée.
« Nous avons décidé de tester l'hypothèse selon laquelle le blocage du seul CCR5 pourrait suffire pour protéger les macaques rhésus contre l'inoculation vaginale d'un virus comme le VIH », explique le Dr Lederman.
La protéine PSC-Rantes de synthèse.
Pour bloquer le CCR5, les chercheurs ont utilisé un agent expérimental - la protéine PSC-Rantes synthétisée par deux chercheurs cosignataires basés à l'université de Genève. On sait que la chimiokine endogène Rantes peut se fixer au récepteur CCR5 et provoque alors l'internalisation du récepteur, de telle façon que le VIH ne peut plus se lier au CCR5. PSC-Rantes est une version modifiée de Rantes, qui se lie plus efficacement au CCR5 et possède une activité anti-VIH1 in vitro bien plus puissante.
L'équipe a inoculé le virus SVIH, un modèle chimérique simien du VIH qui cible préférentiellement le CCR5 ; ce virus contient les éléments internes du SIV et les éléments externes du VIH (souche SF162 du SVIH).
Trente femelles macaques adultes ont été prétraitées par la progestérone, afin d'amincir la muqueuse et faciliter l'infection par le SVIH. Puis elles ont été réparties en 6 groupes de 5, anesthésiées et traitées par voie vaginale avec une des cinq concentrations prévues de PSC-Rantes ou un placebo. Un quart d'heure plus tard, les chercheurs ont inoculé en le SVIH dans le vagin.
Les résultats montrent un effet dose-dépendant. La dose la plus élevée (1 mM) de PSC-Rantes a protégé toutes les femelles de l'infection SVIH. Tandis que la seconde dose la plus élevée protégeait 4 des 5 femelles, et la dose juste en dessous en protégeait 3 sur 5. Le traitement n'a provoqué aucune toxicité ou changement histologique décelable.
Ainsi, une stratégie qui cible ce récepteur (utilisant le PSC-Rantes ou d'autres composés analogues) mérite d'être poursuivie pour le développement. Le PSC-Rantes n'est encore qu'un agent expérimental dont l'usage chez l'homme n'est pas encore autorisé, soulignent les chercheurs.
Un pas important.
Il reste à savoir quelle serait la dose nécessaire pour prévenir l'infection VIH chez les femmes, si le développement progressait jusque-là. La concentration prévenant l'infection chez toutes les femelles macaques était considérablement supérieure à celle bloquant in vitro l'infection. De nombreux facteurs pourraient être responsables de l'écart entre les résultats in vitro et chez l'animal, y compris la difficulté de l'agent à diffuser vers toutes les cibles au sein de la muqueuse. D'un autre coté, les femelles macaques étaient soumises à un risque particulièrement élevé d'infection (du fait de la progestérone et des fortes doses d'inoculation virale) ; aussi ces doses élevées pourraient ne pas être forcément nécessaires pour protéger les femmes.
« Il reste encore beaucoup de travail à faire avant que nous ayons une méthode pratique abordable pour bloquer la transmission du VIH à travers les parois vaginales », prévient le Dr Lederman. « Mais nous avons fait un pas important. »« Maintenant la voie est ouverte pour le développement d'un agent topique qui pourrait prévenir l'infection VIH chez les humains. »
« Science », 15 octobre 2004, p. 485.
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