C’EST A COUPS de dates d’anniversaire que s’affrontent les détracteurs et les défenseurs de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Il y a quelques jours, les partisans de l’euthanasie présentaient, à l’occasion du 25e anniversaire de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (Admd), une proposition de loi sur «l’aide active à mourir». Gérard Payen, président de l’Admd, pour qui la loi actuelle est «inadaptée et hypocrite», propose que «toute personne capable, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable ou placée dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité, peut demander à bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir» (« le Quotidien » du 15 mars). Un an après le vote de la loi dite Leonetti, dont trois décrets d’application viennent à peine d’être publiés (« le Quotidien » du 9 février), est-il nécessaire d’envisager une modification législative ? Comment un texte de loi, à visée universelle et normative, peut-il prendre en compte ce que chacun d’entre nous estime incompatible avec sa dignité ? Devait-on autoriser le suicide assisté ?
«Il faut être précis sur ce dont nous parlons», explique le député (PS) Claude Evin, président de la Fédération hospitalière de France, qui s’oppose, contrairement à son groupe politique, à une réouverture du débat sur la fin de vie. «Il y a effectivement des situations qui sont régulièrement évoquées: celle des personnes qui ne sont pas maintenues artificiellement en vie et qui demandent à mourir, celle des personnes ayant perdu leur autonomie physique et intellectuelle, celle des enfants polyhandicapés à la naissance. Toutes ces situations posent sans doute question, y compris au regard du principe de dignité. Mais ce ne sont pas des questions relatives à la fin de vie», nuance-t-il.
La loi du 22 avril, qui est le fruit d’une mission parlementaire et donc «d’une démarche d’acceptation de cheminer ensemble», rappelle Jean Leonetti (UMP), conforte deux grands principes affirmés dans le texte législatif du 4 mars 2002 relatif aux droits des malades : le respect de l’autonomie du malade, qui peut refuser tout traitement même s’il n’est pas en fin de vie, et le respect de sa dignité. En premier lieu, le refus de l’acharnement thérapeutique (l’ «obstination déraisonnable») est confirmé : lorsque les actes médicaux «apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris». La loi donne également des garanties au médecin qui se doit de respecter la volonté du patient. «Le texte du 4mars ne précisait pas ce qui se passait lorsque le patient maintenait sa décision de refuser ou d’interrompre un traitement, reconnaît Claude Evin. Celui du 22avril donne des réponses au médecin en soulignant que celui-ci peut faire appel à un autre membre du corps médical et que, dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable.»
Motiver les décisions.
Confronté à bon nombre de cas de fin de vie, le Pr Louis Puybasset, responsable de l’unité de neuroanesthésie-réanimation de la Pitié-Salpêtrière (Paris), se félicite du «système cohérent» mis en place par la loi du 22 avril 2005. «La loi rend l’interdiction de l’obstination déraisonnable plus impérative. Dorénavant, les médecins ont l’obligation de motiver leurs décisions médicales et d’évaluer leurs conséquences dans toutes leurs dimensions. Nous devons faire un effort de rationalisation des soins», résume-t-il. Selon lui, la deuxième avancée du texte concerne la liberté absolue du malade conscient, une liberté d’autant plus grande qu’elle est préservée : non seulement le patient doit réitérer sa décision de refus de soins, mais le médecin doit vérifier que sa décision est prise en conscience. «En autorisant l’arrêt total de l’alimentation et de l’hydratation artificielles, la loi va très loin», poursuit le Pr Puybasset. Hypocrite, cette loi ? «Il faut singulièrement manquer d’expérience de la fin de vie pour affirmer qu’on laisse les patients tétraplégiques ou au stade terminal de maladies neurologiques graves mourir de faim et de soif, répond-il. Ces patients vont mourir de l’évolution ultime de leur maladie: ils ne mourront pas abandonnés mais entourés et soulagés dans une logique de soins palliatifs.»
La troisième vertu de la loi, souligne Louis Puybasset, c’est d’avoir su fixer la place des soignants et des familles dans la prise de décision des modalités de la limitation des traitements chez les patients hors d’état d’exprimer leur volonté : «Il faut rendre hommage au législateur d’avoir su trouver la voie étroite qui permet de prendre en compte l’avis de la famille sans lui faire porter le poids.» Rappelons que, lorsque le patient est inconscient, qu’il soit ou non en fin de vie, la procédure de limitation ou d’arrêt du traitement doit satisfaire à trois exigences : le respect de la volonté individuelle du malade (les directives anticipées), la concertation (avec notamment la personne de confiance) et la collégialité médicale. Que se passe-t-il toutefois lorsque le patient arrive en urgence à l’hôpital, inconscient, après une tentative de suicide ? Dans l’urgence comme dans le doute (et heureusement, la loi l’autorise), le respect de la vie sera préféré. «Le texte du 22avril est une loi de transparence, d’ouverture et de dialogue, reprend le Dr Leonetti. Son objet est de respecter la vie et d’accepter la mort. L’euthanasie précède la mort tandis que l’obstination déraisonnable la nie.»
L’acte à double effet.
Pour le juriste Carlos de Sora, chef du service de la bioéthique au Conseil de l’Europe, le texte français a le mérite d’éviter l’écueil de légiférer sur une décision finale. «Cette loi, qui offre des garanties pour les patients comme pour les médecins, permet d’aborder les soins médicaux selon une approche globale. L’euthanasie passive n’existe pas. En revanche, la mort peut être la conséquence d’un acte médical. C’est ce que vous avez appelé l’acte à double effet.» Le texte, qui développe la culture des soins palliatifs par des exigences légales imposées aux médecins et par l’obligation de créer des lits de soins palliatifs, valide le fait qu’un traitement dont l’objectif premier est de soulager la douleur peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie. Dans ces conditions, pourquoi donnerait-on un pouvoir aussi décisif au médecin alors que l’on n’a cessé, ces dernières années, de le ramener à une place plus sage ?
Colloque organisé à l’Assemblée nationale par l’Espace éthique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
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