François Jacob, 1937-1938
(Phanie)«CE QUI ME VIENT à l'esprit, quand je pense à l'année 1937-1938, dit François Jacob*, 88 ans, chercheur en biologie, c'est l'image d'une très jolie fille, charmante, passant l'oral. Deux taupins**, se tenant derrière le type qui l'interrogeait, se relayaient pour lui fournir, sur leurs semelles de chaussures, les réponses aux questions posées… Ah, oui! Je me suis fait engueuler par un prof d'histoire-géo qui m'a demandé de parler de l'estuaire de la Gironde. “Ce n'est ni de l'eau salée, ni de l'eau douce, mais de l'eau saumâtre ! Vous avez 2” , m'a-t-il dit. Voilà le seul souvenir de mon baccalauréat. L'écrit m'est apparu plus facile, il fallait seulement terminer dans les temps», concède, soixante-dix ans plus tard, le biologiste, qui, la même année, décrocha le bac philo et le bac math élem. avant de «partir en vacances rapido, sans fêter ça». À l'entendre, ce fut une simple formalité. Il a bien eu des mentions, mais il ne sait pas lesquelles, «ce n'était pas dans mes préoccupations du moment», précise-t-il.
En fait, le carabin, plus que la bachelier, évoque des images fortes au prix Nobel de médecine 1965, partagé avec André Lwoff et Jacques Monod, qui récompense ses travaux en génétique. «Je suis parti en juin 1940 pour Londres rejoindre les Forces françaises libres, avec deux années de médecine en poche», se remémore-t-il. Puis, officier du Service de santé des armées, il participe aux opérations militaires en Libye, avant de gagner la Tunisie où il est blessé. Passé dans la 2e Division blindée du général Leclerc, il est à nouveau blessé, grièvement, lors de la campagne de Normandie en août 1944. Après sept mois d'hôpital, au Val-de-Grâce (Paris), il retourne à ses chères études. «Je voulais mon doctorat.» «En 15jours», il «passe l'équivalent de quatre années, en tenue militaire, couvert de médailles, un bras en bandoulière. Je revois l'épreuve de médecine, on me présente une lame, anatomopathologique, où j'identifie du foie au lieu du rein. “Je vous donne 5 sur 10” , m'annonce l'examinateur. C'était un autre temps, j'arborais une tenue d'officier…»
* Membre des Académies de médecine et des sciences, chancelier de l'Ordre de la Libération.
Élèves de mathématiques spéciales (taupe).
Claude Sureau, 1944
Le jour le plus long
«JE FAIS PARTIE de cette génération qui a passé un bac au rabais», s'amuse à rappeler le Pr Claude Sureau, gynécologue-obstétricien et membre du Comité national d'éthique. Ses souvenirs restent intacts et précis, ponctués par l'horloge de l'histoire. C'était le 6 juin 1944, le jour du D-Day. Les élèves ne passent, cette année, que l'écrit. Les épreuves d'oral sont supprimées par crainte des bombardements. Assis dans une classe du lycée Condorcet, le jeune Claude Sureau bûche sur sa composition de géographie. Au son de l'alerte à la bombe, les têtes studieuses se relèvent : les Alliés sont en train de débarquer en Normandie.
Avec ses condisciples de math élem., Claude Sureau a eu l'honneur d'avoir reçu, cette année-là, les lumières d'un professeur de philosophie renommé, Jean-Paul Sartre . «Mais je ne m'en vante pas. Car il était nul, s'exclame-t-il. Nous étions des matheux, et on se foutait de la philosophie, qui se résumait, à l'époque, à un enseignement de la logique et de la morale. Lui aussi s'en fichait totalement, il nous l'avait dit. La plupart de ses cours étaient interrompus par des alertes à la bombe. On se réfugiait dans les couloirs du métro de la gare Saint-Lazare.» Qui pourrait imaginer, aujourd'hui, faire classe à 50 garçons ? «En général, ça ne mouftait pas. On travaillait d'arrache-pied, sauf avec Sartre, qui venait d'écrire “les Mouches” et qui travaillait sur le scénario d'un film. On ne le considérait pas comme quelqu'un de sérieux. Il portait toujours une vieille canadienne dégueulasse. Lui, nous prenait pour de petits imbéciles que nous étions. On lui avait fait dédicacer “les Mouches” pour se foutre de lui», se souvient Claude Sureau, qui a toutefois gardé le livre. «À Claude Sureau, en souvenir de 43-44»: une dédicace un peu neutre, mais qui, avec le recul, prend toute sa valeur.
I. D., 1994
J'en rêve encore
«POUR MOI, le bac était d'abord une formalité, raconte le Dr I.D., généraliste en région parisienne . Mais une formalité qui ouvrait des portes, celles de l'université, de la vie professionnelle… Comme j'étais bonne élève, ce n'était pas trop un problème, la question qui se posait était de savoir quelle mention j'allais avoir. Et, pourtant, je rêve régulièrement de mon bac. C'est-à-dire… j'en fais des cauchemars! Dans mes rêves, je me vois en train de devoir plancher sur des sujets que je n'ai pas révisés. Puis, soudain, je me souviens que je suis médecin et donc que le bac est derrière moi! Je ne comprends pas bien pourquoi je cristallise sur cet examen, alors que je ne rêve jamais du concours de première année ou des autres examens de médecine! Je suppose que le bac symbolise pour moi la fin d'une époque, celle des années lycée. Je constate aussi que dans mes rêves, je butte sur des disciplines que j'aurais aimé étudier davantage, comme l'histoire-géographie… Donc j'exprime peut-être là une certaine frustration.»
Bernard Debré, 1960-1961
À Matignon, c'était sacrément enquiquinant !
DANS LES ANNALES du baccalauréat, le Pr Bernard Debré est sans doute le seul candidat à avoir passé les épreuves alors qu'il résidait à l'hôtel de Matignon. «C'était en 1960 et 1961, raconte-t-il. Nous étions en pleine guerre d'Algérie. L'OAS multipliait les attentats. Comme Premier ministre, mon père était évidemment une cible très exposée. Juste avant mon premier bac, je me souviens d'un attentat à Strasbourg. Le préfet, en ouvrant une boîte de cigares piégée, avait été tué sur le coup, juste devant mon père à qui la boîte était destinée. Comme lycéen, je me déplaçais sur une petite Mobylette et j'avais en permanence une voiture de police qui me faisait escorte. C'était sacrément enquiquinant, même si j'affectais de ne pas m'en soucier plus que ça. Au moins, à l'époque, la presse people ne sévissait pas encore. Nous avons pu échapper aux meutes de paparazzi lancés à nos trousses. Avec l'autorité austère du général de Gaulle, ce n'était pas pensable.
« Quand j'ai passé les écrits, les policiers sont restés à l'extérieur, et cela n'a donc eu aucun impact sur des épreuves qui sont anonymisées. Pour les oraux, en revanche, j'étais identifié comme le fils du Premier ministre. Et je mentirais en vous disant que cela représenta un avantage. Par nature, les profs sont plutôt méfiants à l'égard du pouvoir, ils n'auraient pas été fâchés de voir échouer le fils Debré.
« C'est d'ailleurs ce qui m'est arrivé au deuxième bac, en math élem. Mais ce fut totalement de mon fait, j'ai raté l'épreuve de physique.»
L'ambiance à Matignon ? «Nous ne faisions pas bamboche. L'époque était très dure, encore une fois dans le contexte de la guerre d'Algérie. Nous n'avions pas le droit de sortir. Mon grand-père [le célèbre pédiatre Robert Debré, NDLR] exerçait sur nous une surveillance rapprochée et stricte. Je me souviens d'un jour où il me demandait quels étaient mes projets pour l'été. Comme je lui annonçais que j'avais prévu un mois de vacances, il s'est exclamé que c'était une vraie folie avec la rentrée universitaire! Ma mère aussi était très vigilante. Quant à mon père, il était beaucoup plus clément pour le parcours scolaire de ses enfants, tout en nous suivant de près, lui aussi.
Quand je lui ai annoncé mon succès, il m'a félicité, ajoutant: “Tu as trop de chance. Pense à ton pauvre frère Jean-Louis.” » Le frère jumeau du Pr Debré, victime d'un trac qui le paralysait à l'examen, n'a jamais réussi à passer son bac. «Ce qui ne l'a pas empêché de faire le parcours remarquable que vous savez! Mais je garde le souvenir d'un sentiment de culpabilité que l'on avait fini par m'instiller.»
Malgré les pressions et les dissensions familiales, les voitures de police et les attentats, le bachelier Bernard Debré garde le souvenir d '«une période heureuse. L'entrée dans une longue vie universitaire. j'adorais passer les examens et les concours. Malgré le ratageen physique, le bac fut un bon prélude».
Claude Gubler, 1952-1953
Un cauchemar récurrent
«CURIEUSEMENT, le bachot me vaut, depuis une trentaine d'années, des nuits agitées, confesse le Dr Claude Gubler, 74 ans, généraliste devenu inspecteur général des Affaires sociales et médecin de Mitterrand . Dans des cauchemars récurrents, je me vis comme un usurpateur de diplôme qui me fait défaut. Ayant feint d'être bachelier, me voilà dans mes draps, suant sang et eau en train de passer l'épreuve. Je sèche, je pressens l'échec. Cela me renvoie à la personne qui doit prendre au vol un train: elle court sur le quai, et plus elle se dépêche, plus le convoi prend de la vitesse. Dans le même temps, cauchemardant en tant qu'adulte, je me dis “Tu as quand même ton doctorat en médecine, tu peux continuer à travailler” , ce qui calme mon angoisse.»
Tout en laissant à d'autres le soin d' «y voir plus clair, –ça peut intéresser des psy», il livre une part de son trousseau de clés des rêves en revisitant ses années bachots, puisque, en ce temps-là, il faut en passer deux, en première et en terminale. Orphelin de père à l'âge de 6 ans, en 1940, le jeune Claude est orienté à la fin de sa seconde vers une école d'ingénieurs en mécanique et électricité. Sa mère, géologue, en a décidé ainsi. Elle ne veut pas que deux de ses quatre fils soient médecins, l'aîné est déjà carabin, «ça suffit!» Reçu sur concours, il y passe deux ans, avant de s'employer à donner vie à son rêve de devenir médecin. Surveillant dans un établissement scolaire en région parisienne, il décroche «en indépendant» (par correspondance) la première partie du bac en 1951-1952, puis entre en sciences expérimentales à Claude-Bernard, dans la capitale. Avec un camarade, lui aussi promis au serment d'Hippocrate, il se bat pour les places d'excellence : à lui le 1er prix de mathématiques et le 2e prix de sciences naturelles. Le jour J, Claude Gubler manifeste «quelques inquiétudes». Louis Poirier, alias Julien Gracq, son professeur d'histoire-géographie, en est la cause. «L'auteur du “Rivage des Syrtes” (1951) avait fait de nous des nuls dans la discipline, tant il ignorait la pédagogie. Je le revois lors de cours magistraux, sur une estrade, la tête collée au tableau noir, nous tournant le dos. Les avions et les boulettes volent de partout. Un jour, un élève, sorti du fond de la classe, plante sur le bois de sa chaire un couteau... Finalement, je l'ai eu, malgré un1 en histoire-géo, comme d'habitude. Mes notes en sciences naturelles, mathématiques et philosophie me permirent même d'obtenir la mention Assez bien. C'était l'aboutissement et le passage de l'enfance à la vie de jeune adulte. Avant le baccalauréat, nous devions, mes frères et moi, avoir des bourses et, par voie de conséquence, ne pas redoubler pour bénéficier de demi-pension gratuite.»
Une quarantaine d'années plus tard, l'homme qui sue sang et eau lors de nuits d'angoisse pour tenter de réussir son bachot – le dernier cauchemar remonte à février dernier – se voit radié à vie de l'Ordre des médecins . Or, Claude Gubler, coauteur avec Michel Gonod du « Grand Secret »*(Plon, janvier 1996) sur la santé de Mitterrand-chef de l'État et sanctionné à ce titre par ses pairs*, pour qui le doctorat en médecine a force de calmant en période de bachotage cauchemardesque, n'a que «peu souffert» de la condamnation ordinale. «Mon titre existe toujours. Je suis médecin, et l'Ordre ne peut m'en priver.» Quant à son diplôme de bachelier, il l'a «gardé précieusement, quelque part. Peut-être le retrouverai-je un jour», lâche-t-il.
* Il y révèle que Mitterrand publiait des bulletins de santé positifs tout en se sachant atteint d'un cancer, et qu'il n'était plus à même de présider au cours de la dernière année de son second mandat.
Jean-Didier Vincent, 1952-1953
Salluste et le tournedos Rossini
«MON PREMIER BAC, en 1952, a été une terrible épreuve à tous égards, se rappelle le neurobiologiste*, qui devait, cinquante ans plus tard, présider le Conseil national des programmes au ministère de l'Éducation nationale. Et donc superviser les épreuves du bac. Je sortais de Sainte-Foye, un collège protestant de Périgueux où j'étais un peu le petit prince. Et, tout à coup, je me retrouvais en culotte de golf à Bordeaux devant des examinateurs qui me traitaient de haut. La veille des épreuves, ma mère, qui m'accompagnait, m'avait invité au restaurant. Je me suis fait une indigestion de tournedos Rossini. Le lendemain, en traduisant Salluste, j'étais secoué de haut-le-coeur.
« Bref, ce premier bac fut comme une initiation. J'ai préparé le second à Bordeaux, où j'ai noué une amitié indéfectible avec un condisciple qui s'appelait Philippe Joyaux et qui s'apprêtait à devenir Philippe Sollers. J'étais passé des culottes de golf au pantalon, mais, devant mes examinateurs, au lycée Montaigne à Paris, je n'étais pas moins anxieux que pour le premier.Cela dit, je goûtais quand même mes premiers instants de liberté. C'était un temps à la fois exaltant et difficile. Et je crois que je n'ai jamais eu autant de talent qu'à cette époque. Je crois d'ailleurs que c'est le lot commun. L'âge du bac, c'est l'âge où tout est possible.»
* Membre de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine, auteur de « la Biologie des passions » et « Voyage extraordinaire au centre du cerveau » (éditions Odile Jacob).
Thierry Gallarda, 1982
Entre sciences et littérature, mon coeur balançait
«COMME j'ai toujours investi le“savoir” et que je suivais un frère aîné qui était dans une grande école, l'enjeu suscitait quelque stress, se souvient le Dr Thierry Gallarda* .Par ailleurs, mon orientation universitaire demeurait encore un peu floue puisque, alors que j'étais en terminaleC, j'avais déposé un dossier de classe préparatoire littéraire pour finalement opter pour… la médecine, sur les conseils de ce frère aîné qui m'avait convaincu que c'était une orientation plus pragmatique,notamment en termes de débouchés, et qui pouvait être compatible avec ma personnalité. Cette difficulté à choisir entre sciences et littérature s'est soldée plus tard par une spécialité en psychiatrie!
J'ai le souvenir à la fois d'une formalité mais aussi d'une épreuve stressante du fait de la mention… qui devait être au moins égale à Bien (en fait, cela faillit être le cas, à un 1 près) . C'était à l'évidence un examen de passage tout à fait symbolique puisqu'il signait également mon départ du domicile parental pour la ville universitaire de Montpellier.»
* Responsable du centre d'évaluation des troubles psychiques et du vieillissement de Sainte-Anne (Paris).
G. B., 1968
Un bac à la va-vite
LE Dr G. B. FAIT partie de ces heureux bacheliers d'un fameux joli mois de mai… 68. «Il n'y avait pas eu cours durant les deux mois qui ont précédé les épreuves. En juin, le programme n'était donc pas terminé et l'examen n'avait pu être organisé. C'est ainsi que le bac a été préparé à la va-vite. Les sujets n'ayant pu être imprimés, les épreuves ont été intégralement passées à l'oral. J'ai toujours pensé que cela m'avait avantagé. Quand j'ai séché sur une question, j'ai pu argumenter.
«L'épreuve de maths a été l'un des moments les plus forts de ma vie. Au tableau, le prof m'interroge, et, là, le trou noir. Catastrophe. Il commence la démonstration. À peine a-t-il écrit la première équation, que tout me revient. Je me suis dis: “Mon destin est entre mes mains, soit je le laisse écrire, et j'ai zéro, soit je fais quelque chose.” J'ai agi. Je lui ai arraché la craie des mains et j'ai poursuivi moi-même le raisonnement. J'ai décroché un 7,5… Une grande victoire pour moi qui n'avait eu que des notes entre 0,5 et 2,5 de la sixième à la terminale… Pour l'épreuve d'allemand, ma deuxième langue étrangère, je suis arrivé avec un certificat du proviseur du lycée qui attestait de mon niveau plus faible, car… pendant les deux années scolaires de seconde et de première, nous avions été privés de prof, donc, de cours! Je m'en suis sorti avec un 12.
«Quant à l'anglais…, l'enseignante, une vieille dame –qui devait avoir l'âge que j'ai aujourd'hui–, s'est étonnée lorsque je lui ai parlé des événements (dans la langue de Shakespeare) . “Quoi ? Quelles grèves ? Quelles manifestations ?” Je ne sais pas d'où elle venait, mais elle n'était pas du tout au courant de ce qui se passait. J'ai eu 16. L'anglais, c'était mon truc.
«àcette époque, le bac était déjà indispensable. Et il avait encore la réputation d'être un examen difficile. Le taux de succès a été énorme cette année-là. Les gens ont dit qu'on avait “donné le bac 68” . Je crois plutôt que c'est le fait d'avoir été présenté à l'oral qui a facilité les choses. Il est toujours possible de négocier, d'humain à humain. Tandis qu'une copie blanche, ça reste une copie blanche.
J'ai passé le bacA, littéraire, car j'étais plutôt nul en matières scientifiques. Les portes de la fac de médecine ne nous étaient pas fermées comme aujourd'hui… Mais j'ai terriblement souffert en première année!»
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