LE PRÉSIDENT TUNISIEN a abattu ses dernières cartes en quelques heures : baisse des prix alimentaires, libération des manifestants détenus, retrait des forces policières et militaires et, vendredi encore, après avoir promis de ne pas se présenter de nouveau en 2014, il proposait des élections législatives dans les six mois. Rien n’y a fait : après une manifestation en sa faveur dans la matinée, sans doute organisée par ses fidèles, les Tunisiens le conspuaient de nouveau en réclamant son départ immédiat. Si M. Ben Ali n’a rien vu venir vers la fin de l’année dernière, il a fini par comprendre, ces derniers jours, qu’il était la cible unique des manifestants et des émeutiers qui n’ont cessé d’exiger non pas des mouvements de fonctionnaires ou un remaniement gouvernemental, mais bel et bien un changement de régime.
Explications possibles.
La dimension de la revendication semblait la rendre inacceptable. Et on n’a que le choix entre les explications : soit, non sans intelligence, le président déchu a enfin mesuré le degré de son impopularité et a compris que seul son sacrifice personnel rétablirait le calme en Tunisie ; soit, non sans humanisme, il a vu que la poursuite des heurts allait finir dans un bain de sang dont il n’a pas voulu, in fine, prendre la responsabilité ; soit il a cédé aux conseils de son entourage, dont le Premier ministre Mohammed Ghannouchi, devenu entretemps président par intérim (ce qui indique une certaine continuité politique en dépit du déchaînement des passions) ; soit, enfin, il a cédé aux pressions américaines et européennes. Tous ces facteurs se sont peut-être ajoutés pour hâter sa chute. Si la France a hésité à prendre parti trop tôt, la position des États-Unis était plutôt sévère à l’égard du régime tunisien. On note à ce propos que les premiers jalons d’un processus démocratique de reconstitution du pouvoir seront posés par la même classe politique. Le changement ne sera garanti que par l’association de presque tous les opposants à l’ancien régime (intégristes exceptés) à ce processus. En d’autres termes, tout semble avoir été conçu (et peut-être il y a plus longtemps qu’on ne le croit) pour que la Tunisie n’échappe pas à l’influence occidentale.
Il ne faut pas être exagérément pessimiste, toutefois, pour penser qu’une force politique nouvelle en Tunisie, même si elle est inspirée par les meilleurs sentiments, voudra apparaître comme indépendante de l’Amérique et de l’Europe. Seuls les liens historiques et géographiques que ce pays a avec nous et avec l’Union européenne, seule la nécessité de garder ses débouchés commerciaux et de développer son industrie touristique, seul son intérêt économique permettent d’envisager un minimum de continuité entre l’ancien et le prochain régimes. Mais les Tunisiens qui ont manifesté, les jeunes, les étudiants, les diplômés sans travail, les avocats incapables de faire appliquer le droit, bref tous ceux qui sont descendus dans la rue, souvent au péril de leur vie, pour hâter la chute de Ben Ali, exigeront d’abord une réduction des inégalités et une meilleure vie pour les plus pauvres.
ARMÉ DE SA SEULE COLÈRE, UN PEUPLE A RÉUSSI À FAIRE CHUTER UN TYRAN
Même s’il y a des règlements de comptes avec la bourgeoisie, des flambées de nationalisme, des crises d’extrémisme favorisées par une liberté retrouvée, les révoltés de Kasserine ou Sfax n’ont jamais fait que réclamer des libertés essentielles et le droit à une vie décente qu’une bonne croissance de l’économie tunisienne aurait dû leur offrir. Il n’est pas impossible qu’ils s’en tiennent à ces simples revendications internes, lesquelles ne seront d’ailleurs pas faciles à satisfaire, quelle que soit la perfection démocratique du système qui sera mis en place. Si nous voulons garder la Tunisie proche de l’Europe, nous devons être prêts à l’aider dans sa transition historique. En tout cas, le peuple tunisien mérite toute notre sollicitude. Voilà des gens qui, armés de leur seule colère, ont réussi à éliminer un tyran réputé, depuis 23 ans, pour son extraordinaire solidité. Voilà un exemple sur lequel les potentats arabes vont devoir méditer s’ils ne veulent pas prendre un aller simple pour la Suisse.
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