Le problème posé actuellement en thérapie génique est un problème de dose. Cela n'exclut pas bien d'autres problèmes ultérieurs. Mais, pour le moment, l'objectif est d'obtenir une expression du transgène thérapeutique dans une proportion de cellules exposées au vecteur beaucoup plus importante qu'aujourd'hui. Le problème est que l'on ne peut pas compenser le faible rendement des vecteurs en augmentant indéfiniment le titre des suspensions virales administrées : des réactions immunologiques apparaissent en effet rapidement. Par ailleurs, plus encore pour une administration systémique que pour une administration locale, du virus se perd à distance du site où il serait utile, avec le double inconvénient de réduire encore la dose efficace et de transférer le transgène là où son expression n'est pas souhaitable. Pour répondre à ce double problème, on tente d'obtenir des vecteurs à tropisme et/ou à expression spécifique du site désiré. L'étude publiée dans « Nature Biotechnology » décrit la réalisation d'un tel mécanisme à plusieurs détentes.
Le vecteur dans un métavecteur
L'idée consiste à incorporer le vecteur du transgène, un rétrovirus, dans un « métavecteur », qui est en l'occurrence un lymphocyte T. Cette cellule est ciblée sur les cellules tumorales, grâce à un récepteur spécifique d'un antigène tumoral - en l'occurrence, c'est l'antigène carcino-embryonnaire (CEA), exprimé notamment dans le cancer du côlon, qui a été retenu. Ce récepteur est lui-même une molécule chimère : le domaine extramembranaire qui se lie au CEA est couplé à un domaine intrcellulaire qui active le facteur de transcription NF-kappa B. Il suffit d'infecter ces cellules T par un rétrovirus vecteur, dont l'expression est placée sous contrôle d'un promoteur NF-kappa B, et le tour est joué : le virus vecteur ne sera produit qu'après l'accrochage des lymphocytes aux cellules tumorales exprimant le CEA. En outre, le transgène porté par ce vecteur viral est lui-même placé sous contrôle d'un promoteur répondant au CEA. Au total, donc, le dispositif permet trois paliers de ciblage : la cellule transportant les vecteurs s'accroche aux cellules tumorales ; le vecteur viral n'est produit qu'après cet accrochage ; enfin, dans les cellules infectées secondairement, le transgène ne s'exprimera qu'en présence du CEA.
En utilisant comme transgène d'abord un gène marqueur, puis un gène de thymidine kinase, qui sensibilise les cellules au ganciclovir (gène « suicide »), les auteurs ont d'abord vérifié le bon fonctionnement de leur construction in vitro. Dans un second temps, dans des modèles de tumeurs murines, constituées de cellules exprimant, ou n'exprimant pas le CEA, l'efficacité du dispositif a été testée in vivo. En injection intratumorale, ou en administration systémique, dans les conditions requises (tumeur CEA+ et traitement par le ganciclovir), des réponses tumorales ont bien été observées, y compris dans des tumeurs pulmonaires disséminées, dans des conditions où les auteurs disent n'avoir jamais observé d'effet du gène TK administré à partir de virus libre, ainsi qu'au niveau de métastases hépatiques.
Des réserves
Ce résultat semble indiquer qu'il y des choses à creuser du côté de la spécificité tumorale du transfert de gène, peut-être en reprenant certains éléments de la construction proposée. En tant qu'ensemble, cette construction laisse toutefois un peu sceptique. Les constructions moléculaires sont, certes, belles, mais on a l'impression d'un travail spectaculaire en aval de questions toujours non résolues. On en citera trois. Premièrement, quelle que soit l'efficacité du transfert de gène, la pertinence de la thérapie génique contre les cancers n'est toujours pas démontrée. Parmi des cellules tumorales mutantes et continuant de muter, il risque de s'en trouver toujours quelques unes pour inactiver le transgène ou son produit, comme il s'en trouve toujours pour résister aux cytotoxiques. Deuxièmement, la procédure envisagée suppose de connaitre le profil antigénique d'une tumeur dans sa spécificité, mais aussi dans sa diversité. Or, si l'on était capable de caractériser et de délimiter un tel profil, des immunothérapies ou des vaccins thérapeutiques pourraient probablement réussir beaucoup plus simplement que des vecteurs viraux emboîtés dans des métavecteurs. Troisièmement, et il s'agit là du facteur risque : dans des génomes tumoraux en remaniement quasi permanent, plus les constructions transgéniques seront compliquées, plus grand sera le risque de recombinaison d'éléments du provirus et de dispersion de puissants promoteurs, susceptibles d'allumer la transcription de n'importe quel gène dans la cellule tumorale, plus probablement pour le pire que pour le meilleur.
Ces réserves ne visent pas en particulier la construction décrite dans « Nature Biotechnology ». Mais il se trouve que cette construction les illustre parfaitement.
J. Chester et coll. « Nature Biotechnology », vol. 20, mars 2002.
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