La plupart des tumeurs solides possèdent une hypervascularisation, mais aussi un centre hypoxique et souvent nécrotique. Ainsi des tumeurs de plus d'un centimètre cube de volume contiennent de relativement grandes plages avascularisées, constituant jusqu'à 75 % de la masse tumorale.
Cela fait près de cinquante ans que l'on étudie l'option qui consiste à utiliser des bactéries non pathogènes anaérobies, susceptibles de se localiser et de proliférer dans les régions hypoxiques de la tumeur. Les résultats ont été jusque-là mitigés.
Une idée vieille de 50 ans
Dans les années récentes, il y a eu un intérêt renouvelé pour l'utilisation de ces bactéries en tant que véhicules de la thérapie génique. L'équipe de Bert Vogelstein, Long Dang et coll. a, à son tour, tenté d'exploiter le fait que de régions nécrotiques n'existent que dans les tumeurs et non dans les tissus normaux, et souhaité développer un agent toxique qui pourrait être délivré spécifiquement dans ces régions et, en théorie, tuer les cellules vivantes environnantes.
Après avoir de manière systématique évalué, chez 26 bactéries anaérobies, la capacité à se multiplier à l'intérieur des compartiments avasculaires de tumeurs expérimentales, l'équipe a créé une nouvelle souche de bactérie privée de ses gènes codant pour la toxine létale. Lors du criblage, la souche de Clostridium novyi est apparue particulièrement prometteuse, la bactérie se développant à l'intérieur des régions nécrotiques de tumeurs après injection systémique des spores.
Devenue non toxique (par choc thermique) elle a été nommée C. noyi-NT.
Pour tuer les cellules de l'anneau viable de la tumeur, Dang et coll. ont choisi de combiner le traitement par bactériolyse à des agents thérapeutiques choisis pour leur poids moléculaire bas : mitomycine C et cytoxan. L'idée étant que la bactérie lyserait la tumeur de l'intérieur et que la chimiothérapie attaquerait les cellules cancéreuses dans la région non nécrotique et bien perfusée (concept utilisé depuis 1964).
Intitulée COBALT (Combination Bacteriolytic Therapy), cette stratégie a été tentée sur des tumeurs expérimentales de souris, avec un aspect novateur : pour augmenter l'effet des agents chimiothérapiques, Dang et coll. ont utilisé un agent développé en cancérologie pour ses propriétés inhibitrices de la croissance vasculaire, la dolastatine. Ils espéraient ainsi que la stase vasculaire augmente l'importance de l'hypoxie et, de ce fait, la taille de la région touchée par C. noyi. Des xénogreffes, chez des souris, de lignées cellulaires de tumeurs colorectales ont été les cibles de la stratégie COBALT.
Effet antitumoral prolongé
L'injection intraveineuse de spores de C. noyi-NT a provoqué une germination à l'intérieur des régions avasculaires des tumeurs.
L'association aux cytotoxiques a entraîné une nécrose hémorragique des tumeurs souvent dans les vingt quatre heures.
Un effet antitumoral significatif et prolongé est constaté, pour ces tumeurs qui ne répondent généralement pas bien aux agents chimiothérapiques. Même des tumeurs de taille relativement grande (700 mm3) ont été traitées avec succès par COBALT. Un régression tumorale est survenue dans la plupart des cas, et même un traitement complet chez un nombre significatif de survivants.
Un des raisons du succès tient certainement à l'utilisation de l'agent inhibiteur de la croissance vasculaire. La chute de perfusion permet de piéger des molécules extravasées au sein de la tumeur, allongeant le temps de l'exposition aux chimiothérapiques.
Il serait maintenant intéressant de savoir si des résultats aussi intéressant sont obtenus dans le cadre de tumeurs spontanées.
D'autres stratégies d'amplification des effets bactériolytiques sont en cours d'investigation, rappellent les auteurs d'un commentaire associé à la publication. Ainsi, on tente d'élaborer des bactéries afin de leur faire produire des cytokines inflammatoires (TNF alpha), pour augmenter la sensibilité des tumeurs à la radiothérapie et/ou provoquer une réponse immunitaire chez l'hôte. Une autre approche consiste à élaborer des bactéries qui produisent des enzymes capables d'activer des prodrogues à l'intérieur de la tumeur (stratégie BDEPT pour Bacteria-directed Enzyme Prodrug Therapy).
Il n'en reste pas moins que différents problèmes inhérents à la lyse tumorale ou à la bactériolyse doivent être résolus. La toxicité est l'un des principal écueils rencontré par Dang et coll., avec une mortalité chez 15 % à 45 % des souris en relation avec la bactérie, sans que l'on en connaisse la cause. A côté de cela, la résistance tumorale aux agents chimiothérapiques et le traitement des tumeurs de petite taille et non nécrotiques demeurent deux autres limites importantes des stratégies type COBALT.
« Proc Natl Acad Sci USA », publication online avancée. Long Dang et coll. Commentaire Rakesh Jain et coll.
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