Mercredi, 1 h 11. Le Dr Jacqueline Fraysse, maire de Nanterre, déclare levée la séance du conseil municipal. Aussitôt, Richard Durn ouvre le feu. « Les trois premiers abattus ont été trois élus d'opposition, d'une seule balle, témoigne une conseillère municipale, Madeleine Maufrais. Après, il tirait n'importe où, n'importe comment. » La fusillade va durer plusieurs minutes, jusqu'à ce que le forcené soit maîtrisé par plusieurs élus. Huit personnes sont mortes.
1 h 15. Un appel au 18 lance l'alerte à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, (BSPP), compétente territorialement sur Paris et les Hauts-de-Seine. Le médecin-chef Jean-Jacques Kowalski, de garde, contacte une ambulance de réanimation qui rentre de l'hôpital Antoine-Béclère (Clamart) vers le QG de la porte de Champerret (Paris) et se déroute immédiatement vers l'hôtel de ville de Nanterre.
1 h 20. L'ambulance arrive sur place. Le Dr Anne-Marie Arvis, anesthésiste-réanimatrice, effectue un premier point et confirme la nécessité de lancer le plan rouge, une procédure gérée par le préfet des Hauts-de-Seine. Elle dénombre 8 morts et entre 15 et 20 blessés.
Le Dr Michel Rutimann (BSPP) arrive à son tour, rejoint par huit véhicules médicalisés de réanimation, avec à bord de chacun d'eux un médecin, une infirmière, un chauffeur et un stagiaire. La BSPP ne dispose que de 6 ambulances spécialisées, les deux autres vont être affrétées à la hâte à partir de camions sommairement équipés. A titre de comparaison, la même BSPP avait dépêché 10 véhicules en juillet 2000 pour le crash du « Concorde », à Roissy-Charles-de-Gaulle (Val-d'Oise).
L'interconnexion des unités d'urgence
Mis en alerte simultanément, les SAMU des Hauts-de-Seine, de Paris, des Yvelines et le SMUR d'Argenteuil dépêchent sur place 7 ambulances. C'est l'interconnexion des différentes unités d'urgence.
1 h 40. Les derniers véhicules spécialisés prennent place dans la cour de l'hôtel de ville. « La réactivité a été très bonne », note le Dr Kowalski.
Un poste médical avancé (PMA) est alors aménagé dans le hall qui jouxte l'amphithéâtre où s'est déroulée la tuerie. La configuration des lieux est idéale, les vastes dimensions du hall permettant aux équipes de déployer leurs moyens techniques (oxygène, morphine, civières, etc.) et leurs effectifs (médecins, infirmières). De surcroît, la seule urgence à traiter est purement médicale : pas de risques incendie, effondrement, ni de quelconque sinistre secondaire.
La première difficulté va consister à rapatrier au sein du PMA toutes les victimes. « Elles ont été disséminées dans différents bureaux et couloirs », constate à son arrivée le Dr Rutimann. Les corps des victimes décédées ont été recouverts de bâches par les enquêteurs, sans être déplacés. « En tout quatorze blessés en situation d'urgence absolue sont dénombrés, note le Dr Eric Loupiac, directeur des secours médicaux, présent sur place. Les blessures sont thoraciques, abdominales et cervico-thoraciques. « Cinq victimes d'urgence relative, touchées à l'épaule et à la cuisse, sont également recensées. »
Tous ces blessés vont être traités dans un premier temps sur place, conformément aux règles françaises en vigueur dans la médecine de catastrophe. « La première urgence, en médecine de guerre et en chirurgie de guerre, explique le Pr Alain Carli, directeur du SAMU de Paris, est d'éviter le choc, puis de regonfler des patients pour lesquels le risque hémorragique est élevé. On procède ensuite à leur analgésie-sédation et, en dernier lieu, à leur immobilisation. »
Avec les Drs François Templier et Michel Baer (SAMU 92), le Pr Carli va procéder à l'évaluation médicale des blessés avant de lancer le plan blanc, autrement intitulé MASH, Mise en Alerte des Services Hospitaliers. Les régulateurs vont alors orienter les victimes vers différents hôpitaux.
Neuf hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) sont mis au total à contribution : Ambroise-Paré, Bicêtre, Beaujon, Bichat, hôpital européen Georges-Pompidou, Pitié-Salpêtrière, Lariboisière, Henri-Mondor et Louis-Mourier. Egalement sollicités, les hôpitaux de Garches, de Versailles, d'Argenteuil et de Saint-Germain, ainsi qu'un établissement du service de santé des armées, l'hôpital d'instruction des armées de Percy (Clamart). En revanche, il ne sera pas jugé utile de demander des renforts hospitalier du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis.
« Une circulaire de la direction des Hôpitaux doit être incessamment distribuée, qui détaille la marche à suivre pour répartir les blessés dans différents hôpitaux, explique le Pr Carli. C'est ainsi que nous avons procédé, de manière à ce que chaque malade puisse être pris en charge sitôt son arrivée au service de réanimation, avec un bloc opérationnel et un chirurgien spécialisé. » Il n'est évidemment pas question de « services spécialisés en blessure par balle », contrairement à ce que martèlent toute la matinée les radios.
A l'hôpital européen Georges-Pompidou, ce sera en quelque sorte un baptême du feu : deux patients sont adressés au service d'anesthésie-réanimation chirurgicale. « Tous deux, raconte le Pr Denis Safran, chef du service, vont être stabilisés en salle de surveillance postinterventionnelle et orientés ensuite dès 2 h 30 vers les blocs spécialisés : en chirurgie digestive, au premier étage et en chirurgie thoracique, au troisième étage. »
« Nous avons été prévenus de l'arrivée de ces malades, les régulateurs vérifiant systématiquement que nous avons avons les blocs opératoires disponibles, précise le Pr Deloche. L'intérêt de procéder ainsi, « c'est que, le tri étant opéré par l'unité médicalisée sur place, au PMA, lorsque les patients arrivent à l'hôpital, on peut les traiter d'emblée, sans avoir à procéder à un nouveau tri selon les différents degrés d'urgence qu'ils présentent. A Georges-Pompidou, compte tenu des moyens très performants dont nous disposons, nous pouvons prendre en charge jusqu'à une cinquantaine de patients graves. C'est dire que, pour nous, les événements dramatiques de Nanterre, compte tenu de nos considérables possibilités d'intervention, ont constitué une affaire complètement banale. »
Levée du PMA à 5 h 30
A 5 h 30, le dispositif du PMA est partiellement levé, le dernier blessé ayant été acheminé une heure plus tôt vers un hôpital. La cellule d'urgence médico-psychologique (CUMP) où sont accueillis les témoins traumatisés par le drame (une vingtaine) restera quant à elle en place jusqu'à 11 h.
Les différents urgentistes mobilisés s'accordent à constater que les plans rouge et blanc ont été mis en uvre de manière satisfaisante. En particulier, les uns et les autres saluent leur très bonne coordination, l'esprit consensuel et de bonne entente dans lequel ils ont engagé leurs moyens respectifs.
Aussi tragiques qu'aient été les événements, ils n'auront pas entraîné un très grand nombre de petits traumatisés, comme à Toulouse, le 21 septembre (explosion de l'usine AZF). En outre, le site du drame, facile d'accès, n'exposait à aucun risque secondaire et offrait au contraire une configuration favorable aux sauveteurs, par ailleurs parfaitement entraînés. Enfin, souligne le Pr Deloche, « nous avons bénéficié du remarquable équipement hospitalier de la région parisienne. Il n'est pas dit que les mêmes faits, survenus dans une région déshéritée sur le plan sanitaire, auraient pu faire l'objet d'un traitement aussi efficace ».
Mais, comme le note le Dr Rutimann, « ce type de tragédie à l'américaine, avec un grand nombre de victimes par armes à feu, représente pour les urgentistes français une configuration aussi inédite qu'inquiétante pour l'avenir ».
Un malade qui avait fait l'objet d'un signalement en 1998
Richard Durn avait fait l'objet d'un signalement à la direction départementale de l'action sanitaire et sociale (DDASS). Le 10 juillet 1998, il avait en effet été reçu par une psychiatre dans le bureau d'aide psychologique universitaire (BAPU) de la Croix-Rouge française, rue Henri-Barbusse, à Paris. « Au cours de l'entretien, a précisé à l'Agence France-Presse le Pr Marc Gentilini, président de l'association, ce malade a menacé la psychiatre qui le recevait et une procédure de signalement a alors été enclenchée. Le signalement a été fait au médecin chef de la DDASS. »
Depuis cette date, précise-t-on dans l'entourage du Pr Gentilini, l'intéressé ne s'est plus manifesté au BAPU.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature